mercredi 9 juillet 2014

L'Egypte préhistorique dévoilée petit à petit

L'Egypte préhistorique dévoilée petit à petit

Quarta fouilles

Une équipe interdisciplinaire de chercheurs belges travaillant à l'Université de Yale (New Haven, Etats-Unis) avait découvert les plus anciens pétroglyphes en Egypte et l'art rupestre la plus ancienne connue à ce jour dans l'ensemble de l'Afrique du Nord.

En datant les sédiments déposés par le vent qui couvre l'art rupestre en utilisant la technique de luminescence stimulée optiquement (OSL), l'équipe a été en mesure de démontrer que les pétroglyphes sont âgés d'au moins 15 000 ans. Les résultats de la découverte ont été publiés dans le numéro de Décembre de Antiquity (Vol 85 numéro 330, pp 1184-1193).

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Belgian archaeologist Wouter Claes poses with a panel with wild bovids (Bos primigenius or aurochs) at the Qurta II site. (© RMAH, Brussels)
Une découverte oubliée

Le site des roches d'art rupestre est près du village moderne de Qurta, à environ 40km au sud de la ville de la Haute-Egypte d'Edfou. D'abord vus par les archéologues canadiens dans les années 1960, ils ont ensuite été relocalisés et sortis de l'oubli par la mission belge en 2005. La redécouverte a été annoncée dans la Galerie des projets sur l'Antiquité en 2007.

L'art rupestre à Qurta se caractérise essentiellement par des images naturalistes d'aurochs et d'autres animaux sauvages (et élevés ?) d'un style martelé et gravé. Sur la base de leurs caractéristiques intrinsèques (objet, la technique et le style), leur patine et le degré d'altération, ainsi que le contexte archéologique et géomorphologique, ces pétroglyphes ont été attribués à la fin du Pléistocène, en particulier à la fin du paléolithique (environ 23 000 à 11 000 ans). Cette interprétation a rencontré peu de critiques de la communauté archéologique, mais la preuve sous la forme d'une base scientifique datant une preuve directe ou indirecte faisait jusqu'à présent défaut.

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American archaeologist Elyssa Figari recording rock art at the Qurta I site. The panel contains 33 images, including 25 wild bovids and a stylized human figure (© RMAH, Brussels)

Une date remarquable

En 2008, une équipe dirigée par le Dr Dirk Huyge des Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles (Belgique), a découvert plusieurs parois de roche d'art rupestre sur l'un des sites de Qurta. Les dépôts couvrant l'art rupestre, en partie composés de sédiments éoliens, ont été datés au laboratoire de minéralogie et de pétrologie (Luminescence Research Group) de l'Université de Gand (Belgique) en utilisant une datation à la luminescence stimulée optiquement (OSL). La datation OSL peut déterminer le temps qui s'est écoulé depuis que les grains de sédiments ont enfoui les gravures et donc quand ces dernières ont été exposées à la lumière du soleil la dernière fois.

L'art rupestre de Qurta est donc plus ou moins contemporain de l'art européen de la dernière période glaciaire, comme il est vu dans ces sites mondialement connus comme les grottes de Lascaux et d'Altamira.

En utilisant les grains de minéraux constitutifs du sédiment lui-même, cela offre un moyen direct pour établir le temps de dépôt des sédiments et de leur accumulation. Il en est résulté un âge minimum d'environ 15 000 années, fournissant la première preuve solide pour de l'art rupestre à Qurta du Pléistocène et apporte l'activité graphique la plus ancienne jamais enregistrée en Egypte et l'ensemble de l'Afrique du Nord.

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Detail of a rock art panel at the Qurta II site, showing two drawings of wild bovids (Bos primigenius or aurochs) with forward pointing horns. The double belly line of the right specimen is typical of the Qurta II bovids (© RMAH, Brussels)
Une tradition artistique

La découverte de l'art rupestre sophistiqué de "l'Age de Glace" en Afrique du Nord est certainement nouveau, mais pas tout à fait inattendu, comme d'ailleurs des découvertes de l'art africain sur la masse continentale commencent à être mieux connus depuis un certain temps. Déjà en 1969, des parois de pierre peintes avec des motifs d'animaux, datées d'il y a environ 26 000 années ont été découvertes dans une grotte en Namibie. Plus récemment, en 1999 et 2000, des gravures géométriques complexes sur des morceaux d'ocre ont été mis en lumière dans un site côtier sud-africain qui remontent à pas moins de 75 000 à 100 000 ans. Mais comment peut-on expliquer que l'art rupestre de Qurta, exécuté en Egypte il y a au moins 15 000 ans, soit stylistiquement très similaire à ce que nous discernons dans l'Age de Glace en Europe à la même époque ? Peut-on parler d'influence directe ou d'échange culturel sur une aussi longue distance ? Cela n'est pas aussi improbable que cela puisse paraître. Des découvertes de l'art rupestre du Pléistocène dans le sud de l'Italie et de la Sicile portent des analogies avec l'art rupestre égyptien. Dans le nord de la Libye, près de la côte, un site de grotte est connu avec des images naturalistes similaires d'aurochs. Compte tenu du fait que le niveau de la mer Méditerranée à l'époque de la dernière glaciation était d'au moins 100 m inférieur à ce qu'il est aujourd'hui, il ne peut être exclu que les gens du Paléolithique ont établi un échange intercontinental de concepts iconographiques et symboliques.

Carte qurta

Source : communiqué de presse Antiquity - L'article complet dans le magazine Antiquity (Vol 85 Numéro 330, pp 1184-1193)

la préhistoire en Egypte : les gravures de Qurta datées de 15 000 ans ! (extrait) :

" Dans ce dossier, nous allons tenter de cerner quelques étapes de cette préhistoire, notamment en se focalisant sur les sites de El-Hosh et Qurta en Haute Égypte. Nous avons posé des questions au directeur des fouilles belges de ces hauts lieux préhistoriques, Dirk Huyge.

Nous entamons, par ce dossier, une longue exploration de ces périodes jusqu’à l’avènement de l’Ancien Empire avec les débuts de la IIIe dynastie. "

Par François Tonic

" Situé à quelques dizaines de kilomètres au sud d’Edfou en Haute Égypte, le site d’El-Hosh recèle un trésor préhistorique qu’une petite poignée de touristes a le privilège de voir. Le site est mieux connu sous l’appellation de « chasseurs de poissons d’El-Hosh ». Mais entre le Wadi el-Chott (voir Toutankhamon Magazine n°36) et Edfou, des dizaines de sites furent répertoriés, totalisant des milliers de pétroglyphes.

Le site possède des dizaines de pétroglyphes de diverses époques, les plus anciens datent du 7e-6e millénaire, le plus récent de l’époque byzantine-arabe. L’appellation de chasseurs de poissons vient de représentations rares dans la vallée du Nil et unique dans l’art égyptien ancien. Sur plusieurs sites d’El-Hosh, comme à Gebelet Jussef et Abu Tanqurah Bahari, on remarque des gravures pouvant ressembler à des champignons ou plutôt des tracés curvilinéaires. Dès les années 1930, Winkler, qui fit quelques publications, y vit des nasses à poissons.

En Égypte, ce type d’appareil halieutique n’est pas représenté. Il faudrait donc voir dans ces étranges tracés des enclos labyrinthiques pour capturer des poissons. Ils étaient implémentés dans le cours du Nil ou des canaux. Ils comportaient une étroite entrée par laquelle le poisson pouvait passer et se perdre ensuite dans les espaces clos. Un « mur guide » pouvait être parfois utilisé. Ils étaient en grande partie (ou en totalité ?) réalisés en pierre, par empilement. Mais le bois pouvait être utilisé.

Malheureusement, les fouilles n’ont pas révélé le moindre indice sur cette population de pêcheurs. Était-elle sédentaire ou nomade ? Nos connaissances tendent à y voir une occupation ponctuelle des lieux pour y effectuer la pêche. Les images gravées pourraient être liées à une croyance ou des rites pour demander une bonne pêche. Concernant la datation, nous sommes là vers 5000-6000 ans av. J.-C. " (mais nous avons vu que de meilleures datations peuvent aussi mener à - 15.000 ans minimum !).

" Une chronologie difficile à cerner

Comme nous l’a précisé Dirk Huyges, la datation de l’art rupestre demeure encore expérimentale. Une des méthodes fut d’analyser la patine naturelle dans les sillons gravés (ainsi que le vernis naturel recouvrant les gravures). Bien qu’approximative, elle fournit tout de même une date minimale. D’autres techniques sont mises en œuvre telles que l’analyse radiocarbone des restes organiques présents dans cette même patine et le vernis. Il y a aussi une analyse des traces d’uranium (basée sur la dégradation des isotopes d’uranium qui se réalise dans le temps). À l’heure actuelle (comme nous l’a confirmé M. Huyge), les résultats préliminaires existent pour El-Hosh mais pas encore pour Qurta. Cela prendra encore quelques mois avant de pouvoir affiner les résultats. Dans la datation de l’art rupestre, il faut donc utiliser différentes méthodes. Il y a notamment l’étude comparative du style artistique entre les sites ou du style en lui-même (ainsi que le contexte archéologique). Elle fournit des éléments capitaux dans la datation.

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Desert du Tassili : des gravures montrant des cultures et des canaux préhistoriques ?

Des cultures dans toute l’Égypte

Si aujourd’hui, El-Hosh et Qurta apparaissent comme des « sites vedettes », il existe de nombreux sites d’art rupestre dans les déserts de l’Est, de l’Ouest et aux bords de la vallée du Nil. La grotte de Djara est une des plus connues. Située entre Assiout et l’oasis de Farafra, elle possède de nombreuses représentations d’autruches, d’antilopes, et diverses autres espèces. Si les objets découverts dans l’environnement de la grotte remontent vers 6000-8000 av J.-C., aucune étude sérieuse n’a été réalisée sur l’art de Djara.

L’autre site important se nomme Wadi el-Obeiyid, situé au nord-ouest de Farafra. Cette grotte se répartit en trois salles. Son art se compose de gravures et de peintures. On y trouve notamment plusieurs mains peintes, en plus de représentations d’animaux. Elle remonterait à 6000-5000 av. J.-C. Elle appartient à ce que les spécialistes appellent « sociétés proto-agricoles ». Ces mains sont peu communes dans l’art préhistorique nord-africain. L’autre exemple connu est le site libyen de Wadi Athal Shelter. Faut-il y voir un lien possible entre les deux sites malgré les 2000 km les séparant ? D’autre part, pour le moment, nous ne connaissons rien d’une connexion entre cette culture et les populations de l’art rupestre de la vallée du Nil.

Deux autres lieux recèlent des trésors préhistoriques : le Gilf Kebir et le Gebel Uweinat, aux frontières égypto-soudano-libyennes. Ces vastes ensembles pictographiques possèdent un style plus proche de l’art saharien (dans le style et l’iconographie) que celui de l’Égypte de cette période.

Mais la région thébaine (région autour de Louxor) recèle aussi son art rupestre. Appelée le désert thébain, située à l’ouest de Louxor, la région est ratissée depuis plus de 15 ans par les Darnell avec le projet « Theban Desert Road Survey ». Parmi les nombreux sites référencés, le plus connu est le Gebel Tjauti, découvert en 1995, avec un grand graffiti d’un combat militaire remontant, peut-être, au règne du roi Scorpion (dynastie 0, vers 3250-3300 av. J.-C.).

Interprétation et compréhension de l’art rupestre

Comment comprendre l’art rupestre égyptien ? Actuellement, il n’existe aucune réponse. En 2002, Dirk Huyge, dans son article « Cosmologie, idéologie et pratiques religieuses individuelles dans l’art rupestre de l’Égypte ancienne », émet plusieurs hypothèses :

- une symbolique magique, en particulier pour les représentations animales. Cette hypothèse est cependant aujourd’hui abandonnée ;
- une interprétation totémique : difficilement tenable à cause de la diversité de l’iconographie animale et surtout, l’iconographie de ces époques montre des espèces dont, à l’époque prédynastique, il n’y a pas de statues divines ;
- une représentation religieuse : possible mais souvent combattu. Les traces religieuses à ces hautes époques sont ténues, voire inconnues ;
- la naissance de l’idéologie : si elle se discerne aux époques prédynastiques, pour la préhistoire comme à Qurta ou El-hosh, cela est discutable.

Tout cela montre l’extrême difficulté de comprendre les motivations profondes de ce peuple que l’on ne peut qualifier d’égyptien. Il faudrait peut-être utiliser un terme plus neutre : peuple(s) nilotique(s). Les informations lacunaires, voire inexistantes, sur ces populations préhistoriques nous privent de nombreuses données sociales et historiques.

Vers l’Égypte prédynastique

Nous savons aujourd’hui que le désert de l’Ouest connaissait une période humide jusqu’à 6000-5000 av. J.-C. Un changement climatique (sécheresse) s’opéra alors poussant sans doute une partie de la population à migrer vers les bords du Nil. Il se pourrait qu’elle maîtrisa l’agriculture et l’irrigation (ou elle la connaissait déjà mais les champs cultivés sont devenus des désert s !). Coïncidence ou non, c’est à la cette même période que l’on retrouve, au bord du Nil, les premières traces agricoles, principalement dans le Fayoum (dit Fayoum A) puis dans le reste de l’Égypte. Peu après, c’est l’élevage (la domestication animale) qui va avoir lieu. Cependant, comme le note justement Béatrix Midant-Reynes, nous ne savons si cette domestication est d’origine égyptienne ou étrangère ; la même interrogation existe pour la culture céréalière. "

Autres Sources : officielle + http://www.pharaon-magazine.com/actualites/actualite/la-prehistoire-en-egypte-les-gravures-de-qurta-datees-de-15-000-ans + http://www.pasthorizonspr.com/index.php/archives/11/2011/oldest-rock-art-in-egypt-discovered + http://antiquity.ac.uk/ProjGall/huyge/index.html

Yves Herbo Traductions, Sciences, F , Histoires, 07-07-2014

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