Les Minoens et Santorin : les datations trop faussées
Image satellite de l'archipel de Santorin aujourd'hui : la caldeira est formée de l'île principale de Santorin, de l'île de Thirassía et de l'île minuscule d'Aspronissi au sud-ouest. Au milieu se trouvent deux îles postérieures à l'éruption : Paléa Kaméni et Néa Kaméni. (Wikipedia)
Comme on le sait, une éruption volcanique énorme a formé la caldeira de Santorin et a presque anéanti l'une des civilisations les plus avancées de son époque, celle des Minoens. Cette déflagration extrême et le violent tsunami qui s'en est suivi aurait créé la légende de la célèbre Atlantide de Platon selon l'avis de la majorité des scientifiques à l'heure actuelle, les parties minoritaires considérant que ce n'est qu'un mythe total ou que l'endroit n'est pas adéquat ni en date, ni en lieu, mais a bien existé ailleurs...
Il y a quelques années, des études poussées avaient fini par affirmer (et convaincre beaucoup de scientifiques) que cette déflagration avait eu lieu assez précisément au 17ième siècle avant JC, et même avec 1642 AV JC. comme date de cette éruption (au lieu du 16ième siècle avant et de l'année 1550 AV JC). La Civilisation Minoenne (mal datée aussi) est estimée avoir existé entre 2700 et 1200 AV JC, avec une assez large implantation dans la mer Egée, à commencer par la Crète (qui a effectivement subi des tsunamis, comme toute la Méditerranée). C'est l'explosion de l'île habitée de Santorin et le tsunami de 1642 qui aurait anéanti cette civilisation donc, engloutie en grande partie. Des survivants auraient tenté de remonter leur civilisation jusqu'en 1450 AV JC donc, avant d'être envahis et assimilés.
(L'éruption a aussi été datée entre -1629 et -1600 par une étude au carbone 14 effectuée sur des branches d'olivier retrouvées dans les cendres de l'éruption (Documentaire télévisuel de Gabrielle WENGLER et Sandra PAPADOPOULOS Les dix plaies d'Egypte 2/3, avec les interviews des scientifiques Walter FRIEDRICH et Bernd KROMER - Wikipedia)
Ces précédentes études s'étaient axées sur des datations au carbone 14 de céramiques et de la dentrochronologie, c'est-à-dire l'étude des cernes des oliviers locaux déterrés, pour déterminer un âge plus précis de cette fameuse éruption.
Mais de récentes études publiées depuis 2013 par une équipe internationale de scientifiques subventionnés par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) sont en train d'annuler en quelque sorte cette précision presque acquise par d'autres scientifiques...
Les fouilles sur l'île de Santorin avaient permis de trouver, outre des poteries et constructions, plusieurs restes de bois d'olivier, qui avaient donc servi à toutes ces études de datation de l'éruption. Mais ces nouvelles études prouvent que les datations au carbone 14 de ces morceaux d'olivier ne sont pas fiables à plusieurs titres. Quels sont ces arguments de ces études ?
Tout d'abord, selon Paolo Cherubini, l'un des auteurs de ces études, il faudrait d'abord prouver avec certitude que ces arbres vivaient bien encore au moment de l'éruption car, comme on le sait, les vieux oliviers méditerranéens conservent leurs branches mortes pendant de nombreuses décennies. ensuite, les datations au carbone 14 de ces branches d'olivier s'appuient obligatoirement sur un âge estimé à partir des cernes de croissance d'arbres vieux de plus de 4000 ans... et l'étude de ces cernes en question prouve qu'il n'est pas possible de dater quoique ce soit à l'aide des oliviers méditerranéens (cette étude remet d'ailleurs en question beaucoup d'autres datations se servant de cette méthode peu fiable localement...). Tout simplement parce que le climat méditerranéen, très sec en été et doux en hiver dans ces régions forment des cernes souvent impossible à distinguer sur la durée. « Dans les régions chaudes comme à Santorin, où les sécheresses estivales sont fréquentes et les hivers plutôt doux, les oliviers forment souvent des cernes très difficiles à distinguer. Ils présentent des fluctuations de la densité du bois à l’intérieur de certains cernes, et qui se forment surtout pendant les périodes de sécheresse ».
Image et profil de densité du bois obtenus par imagerie neutronique. Sur cette section de branche d’un olivier qui pousse actuellement à Santorin, plusieurs fluctuations intra-annuelles de densité empêchent de distinguer clairement les cernes. © Cherubini et al., Plos One, 2013 ; photo : David Mannes, institut Paul Scherrer
Cette section de la branche d’un olivier qui pousse actuellement à Santorin comporte des cernes très difficiles à distinguer et à dater. © Turi Humbel, WSL, université de Zurich
Pour le prouver, Cherubini a fourni des morceaux de bois d’olivier poussant actuellement à Santorin à dix experts membres de cinq laboratoires dans le monde. Les résultats ont été spectaculaires. Le nombre de cernes évalués pouvait varier de plus de 44 % selon les estimations. Ainsi, un fragment d’olivier pouvait avoir un âge estimé à 72 ans par un groupe d’experts, alors que son âge réel était de 30 ans. Les repères chronologiques construits à partir des datations au carbone 14 combinés à la dendrochronologie étaient donc beaucoup trop imprécis pour pouvoir affirmer que l’éruption minoenne datait en réalité du XVIIe siècle avant notre ère, et pas du XVIe siècle comme l’indiquait l’étude des céramiques. (PS : ou d'une autre période encore car rien ne peut prouver non plus que ces poteries n'étaient pas déjà dans l'état trouvé avant l'éruption, d'autant plus que ces îles volcaniques ont eu plusieurs soubresauts et éruptions avant la grosse...)
Un autre argument est qu'une estimation de l'éruption datée de 1642 se bouscule avec une autre importante éruption (et c'est en fait elle dont on a retrouvé en Alaska les cendres, et non celle de Santorin, confirmation faite récemment) qui a eu lieu vers 1645, celle du volcan Aniakchak.
Sources : http://www.wsl.ch/medien/news/Santorini_2014/cherubini_plusone_2013.pdf + http://www.futura-sciences.com/magazines/terre/infos/actu/d/volcan-eruption-santorin-nouveau-rebondissement-datation-53031/#xtor=RSS-8
Cette remise en question de la datation de l'événement va-t-il donc refaire coïncider la datation des céramiques et "ramener" le tout à vers 1450 AV JC ? Et quelles céramiques au juste : plusieurs sortes de céramiques selon les périodes et même de l'importation Mycénienne et probablement d'autres cultures (le commerce était florissant) ? En fait, si on regarde l'historique des recherches et datations diverses (sans parler encore de datations génétiques encore différentes !) entreprises sur ce site (mais aussi sur la majorité des sites de ces périodes), on comprend à la fois la volonté des scientifiques de se doter de "points fixes et sûrs, bien datés" pour pouvoir avancer en harmonie avec toutes les sciences liées au passé historique et l'envie d'en être sûrs eux-mêmes de part la diversité des possibilités, malgré tout, d'où le refus de beaucoup à une remise en question de ces "points fixes" (âge du bronze minoen par ex), qui ne peuvent provoquer que l'annulation d'années de travaux de chercheurs reconnus - qui perdent ainsi leur "reconnaissance" et réelle contribution à la communauté. C'est pour cette raison encore que, pour l'instant (mais certains archéologues redoutent que les datations génétiques soient un jour considérées comme des preuves formelles, ce qui devrait pourtant arriver un jour avec le progrès) la majorité des datations ne prennent encore en compte que les comparaisons de données sur les styles des céramiques trouvées et leurs périodes (déjà estimées elles-mêmes).
Ainsi, pour Santorin, on apprend que ces comparaisons de styles de céramiques (méthode donnant les "dates" d'existence estimée de nombreux sites dans le monde) donnaient comme date "sûre" de l'éruption à vers -1550 AV JC, avec un réveil et une éruption du volcan en moins de 100 ans. Mais, en étudiant les différentes couches de sédiments, mais aussi des traces de tsunamis sur des sites archéologiques crétois ou grecs, on a aussi découvert qu'une grosse éruption s'était déjà produite vers -19.600 AV JC... (toujours des estimations).
Mais que donnent les récentes études génétiques sur les nombreux squelettes des minoens retrouvés lors des fouilles ?
" D'où viennent les Minoens, ce mystérieux peuple qui a peuplé la Crète jusqu'en l'an 1400 avant notre ère, avant de disparaître dans des conditions encore mystérieuses (l'éruption du volcan Santorin en serait peut-être l'une des causes), laissant derrière lui les vestiges d'une civilisation parmi les plus raffinées de l'Antiquité ?
Pendant longtemps, la thèse qui a prévalu était que les Minoens venaient d'Égypte : chassés de cette région il y a quelque 5000 ans à cause d'une invasion venue du Sud de l'Égypte, ils auraient été contraints de migrer vers le nord de la Méditerranée, arrivant alors dans les îles de la Mer Egée, dont la Crète. Une hypothèse avancée au début du siècle dernier par Sir Arthur Evans, auteur de la découverte des palais crétois (dont le célèbre palais de Minos, à Cnossos), en raison de la mise au jour en Crète d'artefacts analogues à ceux produits par les Égyptiens de l'Antiquité.
Plus récemment, d'autres théories ont vu le jour. L'une d'entre elles avance que les Minoens sont issus de migrations venues d'Afrique du Nord ou du Proche-Orient, mais les éléments archéologiques découverts jusqu'ici n'ont jamais permis d'étayer cette hypothèse.
La thèse la plus récente postule que toute la région de la mer Égée était à cette époque habitée par un peuple, dit "égéen", qui serait à l'origine de la civilisation minoenne. Toutefois, cette hypothèse n'avait jusqu'ici jamais pu être confirmée.
Or, une étude génétique menée par George Stamatoyannopoulos, un généticien de l'Université de Washington (Seattle, États-Unis), suggère que la civilisation minoenne descend bel et bien d'un peuple déjà implanté sur place, dans la région de la Mer Egée, et non d'une colonisation venue d'Égypte ou du Proche-Orient.
Pour parvenir à ce résultat, George Stamatoyannopoulos a analysé l'ADN mitochondrial (pour mémoire, l'ADN mitochondrial se transmet de la mère aux enfants de façon quasiment inchangée, ce qui permet de reconstituer l'ascendance maternelle d'un groupe d'individus) de dents et d'ossements provenant d'une centaine d'individus ayant habité en Crète il y a 4.400 ans à 3.700 ans. Soit, en d'autres termes, de Minoens...
Résultat ? Le généticien a identifié chez ces Minoens 15 marqueurs mitochondriaux que l'on retrouve aussi dans le génome de la population européenne moderne, ainsi que dans le génome des populations européennes de l'Age de Bronze et du Néolithique. En revanche, aucun marqueur mitochondrial commun à celui des populations modernes d'Afrique du Nord n'a été retrouvé dans l'ADN des Minoens étudiés par George Stamatoyannopoulos.
Une découverte qui renforce donc de façon décisive l'hypothèse selon laquelle la civilisation minoenne est issue d'une population "égéenne", qui était déjà implantée sur place. Et invalide notamment la théorie de Sir Arthur Evans selon laquelle les Minoens venaient d'Egypte (George Stamatoyannopoulos a d'ailleurs expliqué à la revue Nature que l'une de ses motivations avait précisément été de tester la validité de la thèse de Sir Arthur Evans sur l'origine égyptienne des Minoens, longtemps considérée comme vraie par la communauté scientifique - lire la dépêche publiée sur le site de Nature : "Minoan civilization was made in Europe").
Et ce résultat est d'autant plus intéressant qu'il peut être recoupé avec des découvertes archéologiques effectuées en Crète dans les années 1980, lesquelles avaient révélé que des agriculteurs vivaient en Crète et dans les autres îles de la Mer Egée dès 7.000 ans avant notre ère (pour plus d'informations à ce sujet, se reporter notamment aux études "Migrant farmers and the Neolithic colonization of Crete" et "The First Colonization of the Mediterranean Islands: A Review of Recent Research"). Si, à l'époque, il était déjà tentant de supposer l'existence d'un lien entre ces agriculteurs du Néolithique et les Minoens, aucun élément scientifique ou archéologique ne permettait toutefois d'affirmer que les Minoens étaient bel et bien les descendants de ces agriculteurs du Néolithique établis dans les îles de la Mer Egée. Mais avec le résultat de George Stamatoyannopoulos, cette hypothèse vient de prendre un poids considérable...
Signalons toutefois que l'analyse de l'ADN mitochondrial est une méthode imparfaite, puisqu'elle n'est capable de reproduire qu'une partie de l'ascendance d'un groupe d'individus (lire "La plupart des Européens partagent des ancêtres récents"). C'est pourquoi d'autres études génétiques plus poussées devront donc être menées afin d'approfondir et de préciser le passionnant résultat obtenu par le généticien George Stamatoyannopoulos.
Ces travaux ont été publiés le 14 mai 2013 dans la revue Nature Communications, sous le titre "A European population in Minoan Bronze Age Crete". "
Voici un
extrait d'un article de
Pascal Darcque sur les recherches sur la préhistoire de la Mer Egée, qui nous permet de résumer l'ensemble des données actuelles officialisées sur l'histoire de la région :
" Le Paléolithique : de l'homo erectus à l'homo sapiens
Les premières traces d'occupation sur le territoire grec actuel remontent au Paléolithique inférieur, entre 700 000 et 200 000 ans avant notre ère ; il s'agit de simples outils en pierre taillée, pour la plupart des trouvailles fortuites faites dans les îles ioniennes, en Macédoine occidentale et en Thessalie, témoignages de l'habilité technique naissante de l'Homo erectus. La datation à la même époque d'un crâne humain trouvé dans la grotte de Pétralona en Chalcidique (Macédoine centrale) reste encore sujette à débats. Les premiers véritables sites – habitats en grottes, en abris sous roche ou en plein air – datent du Paléolithique moyen (200 000-35 000 ans) et supérieur (35 000-10 000 ans) et sont liés, comme partout en Europe, à l'apparition de l'Homo sapiens. Ils se trouvent surtout au nord de la Grèce, en Macédoine, en Thessalie et en Épire, mais aussi en Béotie, en Attique et dans le Péloponnèse, au sud. À l'exception de quelques ensembles d'outillage en pierre provenant d'Eubée et des Sporades, aucune trace d'occupation paléolithique n'est connue à présent dans les îles égéennes, ni en Crète.
Lances de pierre taillées du Néolithique. Musée archéologique d'Héraklion
Les hommes du Néolithique construisent de véritables maisons…
Le passage de l'économie des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique à celle des agriculteurs-éleveurs du Néolithique se fait progressivement au cours de la période appelée Mésolithique, entre 10 000 et 7 000 ans avant notre ère. Les fouilles effectuées dans les années 1960-70 dans la grotte de Franchthi en Argolide et celles en cours dans la grotte de Théopétra en Thessalie ont mis au jour, par-dessus des couches du Paléolithique, des niveaux d'occupation mésolithiques auxquels succèdent, sans interruption aucune, des niveaux néolithiques. Le Mésolithique apparaît alors comme une vraie période de transition vers un mode de vie sédentaire, dont le plein développement se fait au Néolithique, à partir du VIIe millénaire. "
" La présence de l'homme est considérée comme plus sûre à partir de l'époque mésolithique (9000 - 7000 av. J.C.), comme le prouvent de nombreux éclats d'obsidiennes trouvées à Trypti et Roussès, à l'est d'Héraklion et les peintures rupestres d'Asfendou Sfakion, représentant des bêtes à cornes et des motifs abstraits.
La faune de Crète est alors une faune pléistocène caractérisée par une évolution insulaire avec des
hippopotames nains dont des restes ont été découverts sur le plateau de Katharos dans les monts du Lassithi, des
chevaux nains, des éléphants nains, des
cerfs nains (Praemegaceros cretensis), des
rongeurs géants, des insectivores, des blaireaux et une sorte de loutre terrestre. Il n’y a pas de grands carnivores. La plupart de ces animaux disparaissent à la fin de la dernière glaciation. "
Wikipedia
Question : la période mésolithique pourrait-elle être, au lieu d'être juste une période de transition entre deux modes de vie très différents, une période de destruction et réutilisation des habitations et œuvres du précédent mode de vie, hérité d'Erectus - tous ces enfouissements volontaires ou non et ces appropriations d'antiques fondations n'en sont-ils pas les signes ?
Yves Herbo, Sciences-F-Histoire, 30-03-2014