L'effet tunnel surprenant de la chimie interstellaire
La richesse des molécules organiques dans le milieu interstellaire a étonné les cosmochimistes dans les années 1970. Il semble que l'on ne soit pas au bout de nos surprises avec l'astrochimie. Des chercheurs viennent de découvrir que l'effet tunnel
peut accélérer spectaculairement la production du radical méthoxyle
dans les nuages moléculaires. D'autres réactions avec des alcools se
produisent probablement bien plus vite qu'on ne le pensait.
Lorsque
la conquête spatiale a vraiment commencé après la seconde guerre
mondiale, on s’attendait à trouver des molécules organiques à la surface
des planètes comme Mars, ou des satellites comme la Lune, mais
certainement pas dans l’environnement froid et hostile du milieu
interstellaire. On savait de plus qu’il est parcouru par des rayons
cosmiques très énergétiques, dont certains sont même des particules
d’antimatière. La chimie du milieu interstellaire se devait d’être
pauvre, et des molécules organiques ne devaient pas y survivre
longtemps.
Et pourtant, dès 1941, on a commencé à détecter des molécules organiques dans le milieu interstellaire
: HC, HC+ et CN. Ces molécules y ont été découvertes grâce à leurs
raies (observées en absorption dans le domaine visible) dans le spectre
de l'étoile Zeta Ophiuchi. Rapidement, l’ouverture de la fenêtre des
ondes centimétriques et décimétriques en radioastronomie permettra la
découverte du radical hydroxyle HO (en 1963) et des premières molécules
polyatomiques : l'ammoniac NH3 (en 1968), l'eau H2O et le formaldéhyde
H2CO (en 1969). Mais c’est l’accès à la fenêtre observationnelle des
ondes millimétriques et submillimétriques, à partir des années 1970, qui a permis de découvrir la plupart des molécules interstellaires. Plus de 150 sont connues à ce jour.
Vue
d'artiste illustrant le domaine de l'astrochimie. Contre toute attente,
la chimie interstellaire dans les nuages moléculaires s'est révélée
complexe et active. © Jenny Mottar
Molécules synthétisées dans la glace cosmique
De prime abord, l’existence de ces molécules était paradoxale,
car on les trouvait dans des nuages à de très basses températures et
dans des conditions de vide très poussé. Dans de telles conditions, les
réactions chimiques sont en principe très lentes, voire impossibles.
On a fini par comprendre qu’elles peuvent tout de même avoir lieu en
phase gazeuse dans un ultravide et à des températures de l’ordre de 10
K, soit environ -263 °C. Autre découverte, elles peuvent se dérouler dans le manteau de glace amorphe recouvrant les poussières interstellaires présentes dans les nuages moléculaires.
Or, depuis quelque temps, les astrochimistes détectaient dans les nuages moléculaires un cousin du radical hydroxyle HO, le radical méthoxyle CH3O. C’est une entité chimique très réactive,
mais on avait bien du mal à comprendre comment elle pouvait se former
dans le milieu interstellaire. L’hypothèse la plus simple voulait que
comme bien d’autres molécules organiques dans l’espace, elle se forme à
partir du méthanol dans la gangue de glace des poussières silicatées ou
carbonées présentes dans les nuages entourant de jeunes étoiles. Les
photons du rayonnement UV de ces étoiles peuvent en effet faire des miracles quand ils frappent des molécules carbonées simples dans cette gangue de glace que l’on appelle de la glace cosmique.
Malheureusement,
les expériences conduites en laboratoire avec cette glace cosmique ne
permettaient pas d’observer la formation de ces radicaux sous l’action
des rayons UV. Et ce bien que l’on ait reproduit les conditions du milieu interstellaire.
Le
physicien George Gamow a été le premier à comprendre que les ondes de
matière quantique pouvaient traverser des barrières d'énergie
interdisant classiquement des réactions nucléaires et chimiques. Il a
ainsi découvert l'effet tunnel. © AIP, Emilio Segre, Visual Archives
Des chercheurs de l'université de Leeds viennent toutefois de trouver la clé de l’énigme. Comme ils l’expliquent dans un article publié dans Nature Chemistry, cette clé n’est autre que l’effet tunnel. Rappelons que l’effet tunnel a tout d’abord été découvert théoriquement par George Gamow en 1928 lors de ses recherches sur la physique nucléaire. Le génial futur père de la théorie du Big Bang, avec Georges Lemaître, s’était servi de la toute jeune mécanique ondulatoire de Schrödinger pour montrer qu’une particule alpha ne pouvait pas rester confinée dans un noyau, mais avait une chance non négligeable de s’en échapper.
Ses calculs permirent d’expliquer quantitativement plusieurs aspects de
la radioactivité alpha. Plus tard, on s’est rendu compte que cet effet
intervenait dans nombre de phénomènes en chimie quantique et en physique
du solide.
Dans
le cas présent, les chercheurs avaient supposé que pour un mélange
gazeux très froid et très dilué de méthanol et de radical hydroxyle HO,
ce que l’on appelle un intermédiaire réactionnel pouvait exister
relativement longtemps dans l’espace. Ce faisant, une barrière d’énergie
(interdisant normalement, ou pour le moins défavorisant nettement, une
réaction entre ces deux entités pour donner un radical méthoxyle)
pouvait tout de même être franchie par effet tunnel.
Les astrochimistes ont reproduit ce mélange dans les conditions régnant dans des nuages moléculaires à environ 63 K. Le résultat a été spectaculaire. Non seulement le radical se formait bien, mais la vitesse de la réaction était 50 fois plus élevée qu’à température ambiante. Pour les chercheurs, cela implique que tout
un pan de la chimie interstellaire faisant intervenir des alcools reste
à découvrir, et que l’on a sévèrement sous-estimé la vitesse des
réactions à basse température dans les nuages moléculaires.
Importante information sur les premières briques de la vie, notre propre existence et la recherche d'une vie extra-terrestre...
Labo Hershell
SFH-07-2013
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