Les Royaumes engloutis du Pays de Galles resurgissent ?
Le
défilé de tempêtes (qui va d'ailleurs reprendre un peu dès ce lundi
soir et pour toute cette 9ième semaine de l'année encore) qui a ravagé
récemment toutes les côtes de l'ouest de l'Europe a malheureusement fait
de nombreux dégâts et victimes (malgré les alertes multiples) mais il a
aussi refait surgir, un peu comme le médium Cayce
l'avait annoncé au début du 20ième siècle, des traces de notre lointain
passé. C'est un peu une répétition moins violente mais plus longue sur
la durée du tsunami indonésien qui avait libéré des Temples antiques sur
des plages du sud-est asiatique. Après avoir découvert de très anciennes empreintes de pieds humains préhistoriques,
ce sont maintenant les restes figés de toute une forêt préhistorique
qui ont refait surface (provisoirement) au Pays de Galles.
C'est dans la baie de Cardigan
que cela se passe, sur la côte ouest galloise, où les tempêtes et
courants engendrés ont déplacé des milliers de tonnes de sables et boues
sur les faibles profondeurs et plages. A la place, les habitués ont pu
admirer des douzaines de souches d'arbres fossilisées, des chênes, des
bouleaux, des pins datés de plus de 4.500 ans. Il s'agirait, rapportent
le Guardian et le Daily Mail, de la forêt préhistorique de Borth, où s'enracine la légende de "l'Atlantide galloise", le royaume englouti de Cantre'r Gwaelod, submergé après qu'une fée l'ait délaissé.
Les
arbres seraient morts il y a plus de 4 500 ans pour les derniers, au
moment de la montée des eaux, mais auraient été préservés grâce à la
constitution d'une couche de tourbe très alcaline où, privées
d'oxygènes, les petites bêtes qui se chargent normalement de décomposer
les arbres morts n'ont pas survécu, et n'ont donc pas pu faire
disparaître ces souches.
Mais
cette "découverte" n'en est pas vraiment une, contrairement aux
empreintes préhistoriques humaines précédentes, estimées datées de 800.000 à 1 million d'années (la boue solidifiée en roche l'attestant à priori) :
" L'emplacement de la forêt immergée de Borth est un secret bien connu.
Il s'étend de façon intermittente sur deux à trois miles le long de la
rive entre Ynys-las et Borth et se trouve à mi-chemin entre les marées
hautes et basses. Ce qui la rend secrète, c'est qu'elle est normalement
cachée sous une couche de sable et n'est exposée que dans certaines
circonstances.
Dans
les rares occasions où elle est entièrement exposée, une étendue
aplatie de tourbe contenant les restes de nombreux arbres couchés est
révélée. Le Pin (Pinus), l'aulne (Alnus), le chêne (Quercus) et le
bouleau (Betula) ont tous été identifiés. Les systèmes racinaires des
arbres de grande taille sont généralement répartis horizontalement, mais
certains poussent également vers le bas. Ceci est typique des arbres
qui poussent dans les marais, où la nappe des hautes eaux baigne toutes
les racines des arbres, à l'exception de l'aulne dans les couches de
surface aérées de la tourbe. "
Le
pollen a été analysé à différentes profondeurs et cela semble montrer
une séquence de développement typique d'une succession de lits de
roseaux qui ont soulevé des tourbières de sphaigne, mais qui avait été interrompu au stade de marais.
Parce
que les couches supérieures de la tourbe ont été perdues à cause de
l'action des vagues, il n'existe aucune preuve pour indiquer quels
événements ont provoqué la submersion de la forêt mais la radio datation au carbone suggère que les arbres sont morts il y a entre 4500 et 6000 ans. La
longue séquence de développement de la tourbe de forêt immergée indique
une période de temps d'absence totale de l'influence maritime, pendant laquelle l'argile sous-jacente s'est déposée.
On peut voir ici qu'une intéressante étude (avec cartes) a été faite en 1938 : submergedforestatborth.pdf
et elle démontre que cette terre a été longtemps protégée de la montée des eaux par des barrières de terres plus élevées tout autour, tout en restant un marais, mais
qu'une probable rupture d'un de ces barrages (naturels ou pas !) a
provoqué son engloutissement rapide, le nombre de souches couchées par
endroit semble le prouver.
Mais que dit la légende ? (extrait) :
" Si Gwion-Taliesin-Merlin
apparaît bien comme primordial et « antédiluvien», le thème de
l’éruption de la source de vie et d’omniscience se trouve réduit dans le
Hanes Taliesin à un détail apparemment mineur: le poison qui
constitue le reste de la mixture de Cyrridwen après l’éjection des trois
gouttes d’omniscience fait exploser le chaudron où il bouillait et
transforme en eau mortelle la rivière qu’il rejoint, tout comme
l’éruption de la Seaghais crée une rivière fatale pour Eithne Bóinn :
«
Le chaudron se brisa lorsque les trois précieuses gouttes s’en
échappèrent car, hormis ces trois gouttes, le liquide était un poison
qui fit périr les chevaux de Gwyddno Garanhir lorsqu’il se répandit dans
la rivière en contrebas (121-124). »
Le
thème de l’eschatologie diluvienne – l’ennoiement d’un microcosme
valant fin du monde – par éruption de la source cosmique n’est cependant
pas bien loin de l’histoire de Gwion-Taliesin : Gwyddno Garanhir, le
maître des chevaux tués par la rivière empoisonnée et le propriétaire
aussi de la senne dans laquelle le petit Taliesin est pêché comme un
saumon, est en effet une figure fameuse du légendaire gallois : il est
le roi du royaume englouti (125)
La
légende de son engloutissement est ancienne puisque sa première
évocation se trouve déjà dans le fameux Livre Noir de Carmarthen :
« Seithennin 126, lève-toi et sors
Et regarde la fureur de la mer :
Elle a recouvert Maes Gwyddno 127.
Et regarde la fureur de la mer :
Elle a recouvert Maes Gwyddno 127.
Que soit maudite la fille
Qui l’a libérée après le repas du soir,
La source de l’échanson de la mer terrible.
Qui l’a libérée après le repas du soir,
La source de l’échanson de la mer terrible.
Que soit maudite la fille
Qui l’a libérée après la bataille,
La source de l’échanson de la mer sauvage.
Qui l’a libérée après la bataille,
La source de l’échanson de la mer sauvage.
La plainte de Mererid 128, depuis le haut de la ville,
Monte jusqu’à Dieu.
Il est normal qu’une longue expiation paie la débauche.
Monte jusqu’à Dieu.
Il est normal qu’une longue expiation paie la débauche.
Ce jour, la plainte de Mererid, depuis le haut de la ville,
Monte jusqu’à Dieu.
Il est normal qu’on se repente après la débauche.
Monte jusqu’à Dieu.
Il est normal qu’on se repente après la débauche.
La plainte de Mererid m’épouvante ce soir
Et je ne peux guère me réjouir.
Il est normal qu’après la gloire vienne la chute.
Et je ne peux guère me réjouir.
Il est normal qu’après la gloire vienne la chute.
La plainte de Mererid s’élève [du dos] d’un fort [cheval] bai 129.
C’est Dieu le miséricordieux qui a amené ce [châtiment].
Il est normal que l’excès soit suivi du manque.
C’est Dieu le miséricordieux qui a amené ce [châtiment].
Il est normal que l’excès soit suivi du manque.
La plainte de Mererid me fait sortir
De chez moi.
Il est normal qu’après la gloire on meure en exil.
De chez moi.
Il est normal qu’après la gloire on meure en exil.
La tombe de Seithennin 130 à l’esprit faible
Se trouve entre Caer Genedr et le rivage,
De la mer. Il fut un chef glorieux 131. »
Se trouve entre Caer Genedr et le rivage,
De la mer. Il fut un chef glorieux 131. »
Que
Gwyddno ait été le roi du pays avant son engloutissement est confirmé
par plusieurs allusions dans la vieille poésie – ainsi Guto’r Glyn
rappelle
« La lamentation de Gwyddno Garanhir
Quand Dieu fit rouler la mer sur sa terre 132 –, »
Quand Dieu fit rouler la mer sur sa terre 132 –, »
et
à partir du seizième siècle il apparaît que la légende est bien connue
et bien située, le plus souvent au large de la péninsule de Lleyn :
«
A whole cantred or hundred called Cantre’r Gwaelod, stretching itself
west and south about 12 miles in length […] hath been overwhelmed by the
sea and drowned, and still a great stone wall, made as a fence against
the sea, may be clearly seen […] and is called Sarn Badric 133. »
Les
versions populaires qui sont relevées à partir du dix-septième siècle
donnent comme causes de l’ennoiement les perversions vicieuses
organisées par Mererid et le coma éthylique de Seithennin, incapable de
fermer les digues devant la marée montante.
Deux fragments mythologiques laissent néanmoins entrevoir des traits moins anecdotiques.
Le premier est l’évocation d’un duel perdu par Gwyddno face à l’un des rois des dieux, Gwynn ab Nudd, qui l’aurait épargné 134…
or le duel des dieux entre le représentant de la lumière et de la vie
(Gwynn ab Nudd, Pwyll, Lleu…) et celui de l’obscurité (Gwyddno, Gwythyr
ab Greidiol, l’adversaire anonyme d’Arawn, le voleur anonyme vaincu par
Lleu…) aux calendes de mai, se terminant ainsi par la victoire de
premier ou par un match nul qui conserve l’alternance nuit et jour,
hiver et été, mort et vie… jusqu’à la fin des temps est un mythème
récurrent 135. La défaite de Gwyddno le réduirait donc à un règne dans l’Autre Monde.
Le
second attribue à Gwyddno la propriété de l’un des treize trésors de la
Grande- Bretagne : un récipient alimentaire inexhaustible, c’est-à-dire
l’un des attributs majeurs du roi de l’Autre Monde 136 :
«
la manne de Gwyddno Garanhir : si on y met la nourriture d’un seul
homme, il s’y trouve de quoi en nourrir cent quand on la rouvre 137 ; »
«
la manne de Gwyddno Garanhir : même si le monde entier passait devant
par groupes de trois fois neuf hommes, chacun y trouverait à volonté
toute la nourriture qu’il voudrait 138. »
Fins de mondes
La
submersion du royaume serait donc à comprendre comme une eschatologie
microcosmique le renvoyant à l’Autre Monde: de fait, le fond de l’océan
constitue l’une des situations traditionnelles de l’Autre monde, tout
comme l’horizon ou le dessous de la Terre, toutes localisations
«réelles» et concevables mais totalement inaccessibles aux vivants 139.
Il
existe cent autres versions de ce mythème d’une inondation
cataclysmique ennoyant un microcosme, le plus souvent à la suite d’une
éruption de la source cosmique.
• Au Pays de Galles, une triade conservée, en latin, par la Cronica de Wallia de treizième siècle, énumère ainsi
« Les royaumes que la mer a détruits.
Celui de Teithi Hen ab Gwynnan 140, roi de Caerrhihog qui est appelé depuis lors Ynys Teithi Hen et qui se trouvait entre Anglesey et l’Irlande. Aucun homme ni aucun animal domestique n’échappa, sauf Teithi Hen lui-même sur son cheval. Et après cela, il resta transi de frayeurs pour tout le reste de sa vie.
Le deuxième royaume est celui d’Helig ab Glannog 141. Il se trouvait entre Cardigan et Bardsey et s’étendait jusqu’à Saint David. Cette terre était bonne, fertile et plaine, et elle s’appelait Maes Maichgen. Elle allait de l’estuaire jusqu’à Lleyn et jusqu’à Aberdovey.
La mer a détruit un troisième royaume : le royaume de Rhedfoe 142 ab Rheged 143.
Et Robin Gwyndaf évoque aussi la légende du lac de Llangors qui aurait noyé la méchante princesse Syfaddan et son royaume,
dans lequel chantent encore ses oiseaux merveilleux qui ressemblent
fort aux oiseaux de l’Autre Monde traditionnellement attribués à la déesse Rhiannon 144.
121
T. Jones, « The Story of Myrddin and the Five Dreams of Gwendydd in the
Chronicle of Elis Gruffyd », Etudes Celtiques, VIII, 1958-1959, p.
320-321 ; P. K. Ford, « The Death of Merlin in the Chronicle of Elis
Gruffydd », Viator, VII, 1976, p. 379-390. Sur Caer Sidia, ou mieux Caer
Sidi, comme désignation de l’Autre Monde : C. Sterckx, Les dieux
protéens des Celtes et des Indo-Européens, op. cit., p. 48.
122
Pour une étude plus complète de la figure de Taliesin et de ses
parallèles : C. Sterckx, Les dieux protéens des Celtes et des
Indo-Européens, op. cit.
123
Tout comme les dieux irlandais sont appelés collectivement Tuatha Dé
Danann « Lignages de la déesse Dana », les dieux gallois sont appelés
Plant Dôn « Enfants de Dôn », et les deux théonymes sont évidemment
identiques. Sur Taliesin fils de Dôn et sa mère : C. Sterckx, Taranis,
Sucellos et quelques autres, Bruxelles, 2005, p. 121-134.
124
Hanes Taliesin in P. K. Ford, « A Fragment of the Hanes Taliesin by
Llewelyn Siôn », art. cit., p. 454. Pour une tentative d’identification
de cette rivière : F.J. North, Sunken Cities, Cardiff, 1957, p. 177-178.
125
Tegid Moel l’époux de Cyrridwen, semble être lui aussi le roi d’un
royaume englouti qui serait devenu le Llyn Tegid « le lac de Tegid »,
l’actuel lac Bala, à la suite de l’éruption d’une source dont le gardien
négligent aurait un soir oublié de replacer la bonde (R. Gwyndaf,
Chwedlau gwerin Cymru, op. cit., p. 51 ; P. C. Bartrum, A Welsh
Classical Dictionary, op. cit., p. 603-604).
126
Ce nom, dérivé d’un latin Septentinus, désigne clairement ici l’un des
responsables de la catastrophe mais rien ne transpire de la nature de sa
faute, si ce n’est qu’il est dit d’esprit faible (synhuit vann) à la
fin du poème. L’idée qu’il s’agissait du gardien des digues et qu’il
s’était enivré n’apparaît que tardivement d’après les textes très
suspects d’E. Williams « Iolo Morganwg » : P. C. Bartrum, A Welsh
Classical Dictionary, op. cit., p. 346‑348.
127
« Le Pays de Gwyddno » : le nom du royaume avant qu’il ne soit englouti
et appelé Cantre’r Gwaelod « le Canton au Fond [de la mer] ».
128
Mererid serait le nom de la fille coupable de la catastrophe. Son nom,
forme galloise du prénom Marguerite « Perle », pourrait peut-être n’être
qu’une lectio facilior pour un plus ancien mereddig « stupide » : (J.
Loth, « La légende de Maes Gwyddneu dans le Livre Noir de Carmarthen »,
Revue Celtique, XXIV, 1903, p. 354 ; H. Le Bihan, « Beuziñ Maez Gouesnoù
», Hor Yezh 223, 2000, p. 13). Il n’est pas impossible non plus qu’il
fasse allusion à une métamorphose en sirène après la submersion du pays :
cf. infra.
129
Sur le sens de ce vers, généralement compris comme « la plainte de
Mererid à cause des vins forts », d’où l’idée d’une débauche
d’ivrognerie : R. Bromwich, « Cantre’r Gwaelod and Ker-Is », in C. Fox,
B. Dickins (ed.), The Early Cultures of North-West Europe, Cambridge,
1950, p. 223.
130
Cette dernière strophe fait partie des Englynion y beddau (6 in A. O.
H. Jarman, E. D. Jones, Llyfr Du Caerfyrddin,Cardiff, 1982, p. 36 ; cf.
T. Jones, « The Black Book of Carmarthen “Stanzas of the Grave” »,
Proceedings of the British Academy, LIII, 1967, p. 118-120).
131
Boddi Maes Gwyddno in A. O. H. Jarman, E. D. Jones, Llyfr Du
Caerfyrddin, op. cit., p. 80-81. Pour la traduction, cf. R. Bromwich, «
Cantre’r Gwaelod and Ker-Is. Fox », art. cit. ; L. Fleuriot, « Le thème
de la ville engloutie », in L. Fleuriot et al., Récits et poèmes
celtiques, Paris, 1981, p. 234 ; H. Le Bihan, « Beuziñ Maez Gouesnoù »,
art. cit.
132 I. Williams, Ll. Wiliams, Gwaith Guto’r Glyn, Cardiff, 1939, p. 31.
133 Robert Vaughn, cité par F. J. North, Sunken Cities, op. cit., p.153-154.
134
Ymddiddan rhwng Gwyddno Garanhir a Gwyn ab Nudd in A. O. H. Jarman, E.
D. Jones, Llyfr Du Caerfyrddin, op. cit., p. 71-73. Sur Gwynn ab Nudd :
B. F. Roberts, « Gwynn ab Nudd », Llên Cymru,XIII, 1980-1981, p. 283-289
; P. C. Bartrum, A Welsh Classical Dictionary, op. cit., p. 351-353.
135 Cf. N. Stalmans, Les affrontements des calendes d’été dans les légendes celtiques, Bruxelles, 1995.
136
Il ne fait guère de doute que cette corbeille inexhaustible de Gwyddno
se confond avec sa senne merveilleuse qui, « une fois par an » – en fait
lors d’une césure temporelle qui vaut pour le non-temps de l’Autre
Monde – offre pareillement une surabondance merveilleuse. Manne et senne
rejoignent ainsi le chaudron du dieu « jupitérien » (Irlandais Eochaidh
Ollathair, Gaulois Sucellos… : cf. C. Sterckx, Taranis, Sucellos et
quelques autres, op. cit.) qui bout inexhaustiblement le banquet de
l’Autre Monde. Remarquablement, la senne de Gwyddno ramène sa pêche
miraculeuse – et aussi le petit Taliesin et son omniscience ! – du
bouillonnement créé par le reflux dans l’embouchure de la Conwy,
équivalent vénédotien de la Serven démétienne.
137 Tri thlws ar ddeg Ynys Prydain 2 in R. Bromwich, Trioedd Ynys Prydein, op. cit., p. 258.
138
Mal y cafas Culhwch Olwen in R. Bromwich, D. S. Evans, Culhwch ac
Olwen, op. cit., p. 23. Nous suivons la traduction de P.-Y. Lambert, Les
quatre branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, op.
cit., p. 144, si ce n’est que nous rendons le mot mwys par « manne » et
non pas par « plat ».
139
Cf. D. E. Edel, « Antipoden, ankers en een wereld-onder-het-water », in
A. M. J. Van Buuren et al., Tussentijds. Bundel studies aangeboden aan
W.P. Gerritsen ter gelegenheid van zijn vijftigste verjaardag, Utrecht,
1985, p. 101-114 et 339-342 ; G. Hily, L’Autre Monde ou la source de
vie,Bruxelles, 2003.
140 Cf. P. C. Bartrum, A Welsh Classical Dictionary, op. cit., p. 608.
141
Helig ab Glannog est connu comme le père de plusieurs saints et
l’ancêtre de deux clans de Vénédotie. Sa légende semble n’être qu’une
autre version de celle du Cantre’r Gwaelod (F. J. North, Sunken Cities,
op. cit. ; P. C. Bartrum, A Welsh Classical Dictionary, op. cit., p.
362-363).
142 Rhedfoe est totalement inconnu par ailleurs : P. C. Bartrum, A Welsh Classical Dictionary, op. cit., p. 552.
143 T. Jones, « Triawdd lladin ar y gorlifiadau », Bulletin of the Board of Celtic Studies, XII, 1947-1949, p. 79-83.
144 R. Gwyndaf, Chwedlau gwerin Cymru, op. cit., p. 73.
" Le Mythe gallois de la submersion de la "CANTRE'R GWAELOD"
Une
légende galloise nous parle d'une grande inondation à partir d'une
source: celle de la "Centrêve" de Gwaelod (les cent villages du
Bas-Pays), une belle contrée censée reposer au fond de la baie de
Cardigan. Aujourd'hui on raconte qu'elle était protégée par un
système de digues et d'écluses placées sous la responsabilité d'un
potentat local, Seithenhin, lequel, étant un jour pris de boisson, oublia de fermer les écluses et provoqua ainsi l'inondation de son fertile royaume.
Mais ceci n'est pas ce que dit l'ancienne légende qui donne à Gwaelod
le nom de "Maes Gwyddno" (Plaine de Gwyddno) ! Plus précisément, un
poème sur "Maes Gwyddno" est intitulé en 1801 dans la "Myvyrian
Archaiology": "GWYDDNEU AI CANT pan ddaeth y mor tros Gantrev y
Gwaelawd", ce qui signifie sans doute: "GWYDDNO CHANTE alors que la mer
vient inonder Cantre'r Gwaelod".
Les localisations possibles de Maes Gwyddno
Il
y est question d'une FONTAINE et on y incrimine une FEMME nommée
Mererid (Marguerite), peut-être détournée de son devoir par le même
Seithenhin. Ce court poème est tiré du Livre noir de Carmarthen, rédigé
vers 1250. A en juger par l'archaïsme de la langue, il pourrait remonter au 9ème siècle. Il est composé de 9 tercets, dont l'un est repris de la collection des "poèmes allitératifs des Tombeaux".
Une autre légende galloise situe une histoire similaire au nord de la Principauté: la submersion de "Tyno Helig" ou "Llys Helig" (le creux de Helig) sur la côte nord du Carnarvonshire. Helig fils de Glannoc était un prince méchant à qui une voix mystérieuse annonça une calamité
qui aurait lieu du vivant de ses petits-enfants, de ses
arrière-petits-enfants et de leurs enfants. Ce serait la vengeance du
Ciel pour son impiété. Il se rassura, croyant que cela ne se produirait
pas de son vivant. Mais un jour que les quatre générations assistaient à
une fête à son palais, un serviteur s'aperçut que l'eau faisait
irruption dans la maison. Il n'eut le temps d'avertir qu'un harpiste.
Tous les autres avaient sombré dans l'ivresse et furent noyés.
Les deux histoires ont sans doute "déteint" l'une sur l'autre: le manuscrit "Halliwell" donne à Helig le titre de "Seigneur de Cantre'r Gwaelod".
On
rencontre de telles histoires de formation de lacs en Irlande. C'est
celle de Liban et du surgissement des "Loughs" Ree et Neagh qui se
rapproche le plus des fictions galloises. En particulier le "Lebor Gadda" fourmille d'histoires de lacs qui sortent du sol
: c'est bien le signe qu'on a là un thème commun à toutes les nations
celtes. Si parfois l'accent est mis sur la méchanceté des habitants de
la région submergée, comme dans la légende d'Ys, il faut y voir un trait secondaire qui tire son origine des récits bibliques. "
" "Seithenhin"=Saturninus (?). Ce nom apparaît sous la forme "Teithi-Hen" dans le conte "Culhwch" des Mabinogion: "Teithi-le-Vieux,
fils de Gwynnan (la mer submergea son royaume; il échappa de justesse
et se rendit chez Arthur; aucune garde ne tenait à son couteau; c'est
pourquoi il fut malade et faible tant qu'il vécut; puis il mourut)." Cette longue déchéance est annoncée dans le présent poème.
Son
rôle ici n'est pas très clair. A-t-il provoqué par son inconduite la
transgression commise par Marguerite, comme il est dit plus loin, à
propos du mot "traha"?
Ce qui est sûr, c'est que la tradition populaire a fait de lui le coupable dans la tragédie de la submersion et ignore tout de Marguerite, la femme fatale.
Dans
une version tardive qui remonte au début du 17ème siècle, c'était l'un
des deux princes chargés de surveiller les digues du polder one. Un
jour, pris de boisson, il négligea les devoirs de sa tâche et laissa les
eaux inonder la plaine, noyant tout le monde à l'exception du
légendaire roi Gwyddno Garanhir (aux longues jambes), né vers 520 après
J-C. C'est peut-être à l'influence des Pays-Bas que son royaume doit
d'être décrit comme une plaine protégée par une levée de terre, la
chaussée de Saint-Patrick, "Sarn Badrig", pourvue d'écluses que l'on
ouvrait à marée basse pour évacuer l'eau des champs. Sa capitale était
"Caer Wyddno" (le Fort de Gwyddno). Le roi et certains de ses courtisans
parvinrent à s'échapper mais durent désormais quitter ce plat pays pour
mener une existence plus chiche dans les collines et vallées du Pays de
Galles. La tradition fait aussi de Gwyddno un poète et la "Myvyrian
Archaiology" lui attribue trois poèmes dont celui que l'on vient de
lire.
"Maes Gwyddneu": on n'a pas la preuve qu'au 12ème siècle, cette expression qui signifie la "Campagne de Gwyddno" s'appliquait à une terre inondée dans la baie de Cardigan. C'est ainsi que le philologue à l'université de Cambridge, Hector Munro Chadwick
(1870, 1947), dans son ouvrage posthume "Early Scotland" (1949),
suggérait que le royaume de Gwyddno avait pu désigner à l'origine la
côte nord de la baie de Solway ou les alentours de la baie de Wigtown,
hypothèses corroborées par plusieurs documents anciens qui associent Gwyddno aux "Gwyr y Gogledd" (Bretons du Nord).
Il
est vrai aussi que la tradition ancienne relie Gwyddno non seulement à
la baie de Cardigan où une formation rocheuse naturelle est appelée "Caer Wyddno", que le nom complet de Borth, ce port situé entre Aberystwyth et Aberdovey, est "Porth Wyddno yng Ngheredigion" et que l'on trouve un lieu-dit "Blaen Wyddno"
entre Narberth et Carmarthen, mais aussi au littoral de Galles du Nord
entre Bangor et Llandudno. Une tradition plus récente fournit des
détails précis quant à la surface couverte par la Centrêve de Gwaelod dont la limite au nord-ouest était constituée par la chaussée sous-marine (naturelle à priori) appelée "Sarn Badrig" (chaussée de Saint Patrick)... Un poète anonyme du 18ème siècle vantait l'opulence de ses 16 villages dont le plus grand était "Mansua" !
Bien que le mouvement de relèvement du niveau de la mer ait cessé avant l'âge de fer (1300 avant J-C),
des restes de forêts submergées et les alignements de gros galets, dont
on vient de parler et qui bordaient les lits d'anciennes rivières,
prouvent bien qu'il a affecté ce littoral.
Cette
tradition devait exister dès le 11ème siècle, car (dans la mesure où il
ne s'agit pas d'une glose ajoutée plus tard au texte original) cette
montée des eaux est évoquée dans le conte des Mabinogion intitulé "Branwen": lorsque
Bran le Béni traversa la mer pour se rendre en Irlande, "du fait que
celle-ci était alors moins profonde, il la passa à pied. A l'époque il
n'y avait que deux rivières à franchir, Lli et Archan, et ce n'est que
plus tard que le détroit s'élargit et que la mer submergea le royaume".
Toutes les légendes ici, beau travail : http://chrsouchon.free.fr/kerizf.htm
" Le dernier maximum glaciaire
Les spécialistes des paléoclimats situent le dernier maximum glaciaire entre –25000 et –17000 ans. C'est donc à cette époque que s'est constituée la fameuse
terrasse sous-marine de –110 mètres, profondeur maximale (pour le
Quaternaire). Ce niveau –110 mètres a été retrouvé dans le monde entier
(à quelques mètres près selon les régions). L'océan s'y est maintenu pendant plusieurs milliers d'années,
comme le montre l'étude minutieuse du talus continental. C'est la
grande époque du Pléniglaciaire, contemporain du Paléolithique
supérieur, avec ses civilisations bien connues : le Moustérien, d'abord,
puis l'Aurignacien, le Gravettien et le Solutréen.
Les masses glaciaires sont alors énormes, atteignant un volume
total de près de 75 000 000 km³ contre 26 000 000 km³ de nos jours,
soit quasiment trois fois moins. Cela signifie que les deux tiers des glaciers ont disparu depuis, et que parallèlement la remontée globale du niveau marin ait été de 110 mètres.
Cette étude du Delta du Mississippi et des terrasses du Texas prouve qu'il y a eu 5 glaciations entre le Pliocène et l'Holocène et que, localement, l'eau est descendue à - 140 mètres
au moins lors d'une des plus fortes glaciations (y compris locale),
tout en considérant que la dernière glaciation (qui a "creusée" le lit
des anciennes) a été l'une de ces plus puissantes 5 dernières glaciations qui ont eu lieu entre environ 2,6 millions d'années à 12 000 ans avant maintenant.
Mais
n'oublions pas que l'on a, jusqu'à présent, enregistré de nombreuses
autres glaciations (et des périodes beaucoup plus froides et chaudes
encore que les maximas du quaternaire récent). En fait, la toute première glaciation semble avoir été enregistrée il y a entre 2.9 et 2.8 milliards d'années (la glaciation de Pongola) et on pense même que la Terre a été entièrement gelée, comme une boule de neige, il y a entre 2.4 et 2.25 milliards d'années, mais également entre - 735 et - 705 millions d'années avant maintenant. Il est étonnant aussi de constater que, entre -564 et -550 millions ou -534 et -505 millions suivant les versions, la Terre bascule sur son axe à cause d'un épisode de bouleversement inertiel. L'axe de rotation de la Terre bascule de 90° en 15 millions d'années
par "dérive du pole par échange inertriel" ("IITPW" = Inertial
interchange true polar wander). Cet énorme événement se produit pile
pour provoquer une explosion de la biodiversité, celle du cambrien dont
nous sommes issus. D'autres traces de vies naturelles précédentes ont
été relevées, mais aucune n'a survécu aux précédentes catastrophes ou
climats.
Le dernier dégel
Réchauffement et montée des eaux
C'est entre –17000 et –15000 qu'eut lieu un premier réchauffement (dit réchauffement solutréen)
et une première fonte des glaces les plus exposées. Parallèlement,
quasi automatiquement, démarra une remontée du niveau de la mer, lente
mais inexorable, qui grignota le talus continental jusque-là préservé
des effets mécaniques de l'érosion marine. Ce fut aussi le début de l'exode pour les tribus qui vivaient paisiblement au bord de la mer, où ils trouvaient facilement leur nourriture grâce à la pêche de poissons et de petits crustacés.
C'est en –13500, alors que le niveau marin était à –80 mètres (il avait déjà progressé de 30 mètres par rapport au niveau plancher), que se produisit une première débâcle, dite débâcle atlantique ou Déluge de Lascaux. La
déglaciation s'accéléra soudainement avec l'éclatement définitif de la
calotte glaciaire qui recouvrait tout le nord de l'Europe et qui
bloquait surtout toute circulation maritime dans la mer du Nord que nous
connaissons. Les glaciologues pensent que le plus gros de la débâcle eut lieu en moins d'un siècle, suite à une série de cataclysmes en chaîne (l'un alimentant le suivant). Le niveau de la mer augmenta alors de près de 20 mètres en quelques années seulement,
ce qui est fantastique. Ce très remarquable exemple peut être médité et
transposé à l'époque future, si le glacier antarctique subit un sort
analogue. Près de 20 mètres en quelques années, on voit d'ici le
résultat : toutes les villes côtières disparaissent sous les flots !
Une géographie sans cesse remaniée
Après ce paroxysme étonnant par sa rapidité et son intensité jamais revue depuis, la montée des eaux se ralentit. Le seuil de –68 mètres (appelé seuil des Dardanelles et qui séparait le lac de Marmara et la mer Égée) fut atteint en –11700.
C'est alors que cette mer trouva provisoirement un exutoire naturel
vers le nord-est, mais elle se trouva ensuite bloquée au seuil du
Bosphore infranchissable avec son altitude de 38 mètres. L'ancien lac de Marmara doubla alors de surface, devenant une mer salée entourée de rives dévastées.
Il se produisit alors une longue période de stabilisation autour du niveau –55 mètres qui dura près de 3000 ans (entre –11000 et –8000).
Ce seuil est très identifiable sur tous les talus continentaux et il
est même considéré comme un repère clé par les océanographes. Cette
période d'accalmie, venant après plusieurs millénaires de tracas et
d'insécurité permanente, fut mise à profit par les populations pour se fixer et se sédentariser puisque la superficie de leurs terres n'était plus constamment remise en cause par des modifications géographiques.
Il ne faut pas perdre de vue que la géographie avait été très sérieusement chamboulée, avec en particulier, en Méditerranée, l'ouverture de nouveaux passages maritimes importants (cruciaux mêmes pour les déplacements), notamment le détroit de Messine (entre l'Italie et la Sicile avec la formation des fameux Charybde, le tourbillon, et Scylla, le rocher) et les Bouches de Bonifacio (entre la Corse et la Sardaigne jusque-là soudées).
Avec la fin de la stabilisation à –55 mètres se termina le Tardiglaciaire, c'est-à-dire la deuxième grande phase de la déglaciation, qui a vu parallèlement l'éclosion de la civilisation magdalénienne et l'essor du Mésolithique. Ce fut l'entrée dans le Postglaciaire ou Holocène.
A partir de –8000, la mer recommença à monter lentement sur la Terre entière,
et donc partout les transgressions marines entraînèrent des
conséquences catastrophiques, notamment au niveau des dunes côtières qui
furent souvent désintégrées. Cela tint en partie à une substantielle
augmentation de la température (+ 4° en une dizaine de siècles) qui
contribua à faire fondre, en plusieurs étapes, le grand glacier
rescapé du maximum glaciaire qui occupait encore la Scandinavie et la
Baltique. Cette fonte allait entraîner plus tard, en –6700, une
véritable débâcle qui elle-même allait être la cause du seul déluge de
très grande envergure dont on a gardé la trace.
Comme l'expliquent André et Denise Capart :
«
Nous ne pouvons pas ignorer l'histoire de la mer Baltique, car c'est
sous ces lointains horizons que s'élabore le déséquilibre des masses
glaciaires qui provoquera le seul déluge de la préhistoire dont les
hommes ont gardé et transmis le récit circonstancié. Nous pensons, bien entendu, au déluge de Noé. »
Dès –7300, les océans atteignirent le fameuse cote de –38 mètres, celle du seuil du Bosphore. Cela signifie qu'à partir de cette époque, 600 ans avant le Déluge, la mer Egée, qui
avait déjà envahi le lac de Marmara à partir de –11700, commença
d'envahir progressivement le lac d'eau douce de la mer Noire, la salinisant petit à petit.
Partout ce fut la débâcle, notamment dans la Manche dans laquelle
l'Atlantique se fraya un passage de plus en plus large et sépara
définitivement la France et l'Angleterre, jusque-là riverains d'un grand
fleuve Seine qui se jetait alors dans l'Atlantique.
La bipartition de –6700
C'est la période de la plus grande catastrophe terrestre recensée depuis 10 000 ans,
loin devant les catastrophes cosmiques dont nous parlerons au chapitre
suivant. C'est celle que les glaciologues appellent la bipartition
associée à la grande débâcle du glacier scandinave. Pour
la première fois depuis longtemps, les eaux froides de la mer du Nord
rejoignent les eaux salées de l'Atlantique au large des Pays-Bas, pays
entre tous menacé par l'océan, suite à un gigantesque raz-de-marée parti
des côtes de Norvège. Celui-ci est associé à la débâcle de la partie
occidentale du glacier scandinave, qui représentait le quart de la masse
totale et dont on a estimé le volume à 200 000 km³. C'est un
nouveau passage ouvert d'une façon irréversible qui change tout
l'environnement géographique, mais aussi culturel de la région.
Signalons
en passant un fait géophysique et historique très mal connu jusqu'à
maintenant : l'ouverture du passage Manche/mer du Nord est contemporaine
du Déluge de Noé, qui a eu lieu à l'autre extrémité de l'Europe. Les deux sont datés de –6700.
Plus à l'est, c'est la grandiose catastrophe dont nous allons parler en détail dans la section suivante :
l'eau du glacier scandinave après avoir traversé une bonne partie de
l'Europe, en suivant le cours des grands fleuves (le Dniepr
principalement et dans une moindre mesure la Volga et le Don), et envahi
la mer Noire ouverte au sud depuis peu, va se déverser pendant une
année au moins dans la mer Egée qui s'en trouvera bouleversée.
Il
faut savoir d'abord que le Bosphore a servi plusieurs fois de moyen de
communication aquatique, d'exutoire, entre la mer Noire et celle de
Marmara au cours du Quaternaire, au gré des glaciations et des
déglaciations. On peut dire que le chemin était déjà tout tracé ! L'épisode de –6700 avait donc déjà eu plusieurs précédents, mais alors les hommes n'étaient pas encore là pour en attester.
Le Déluge revisité par les glaciologues et les hydrologues
Dans leur livre, André et Denise Capart,
sûrs de leurs preuves et de leurs arguments que certains qualifieront
de révolutionnaires, et qui racontent très en détail ce cataclysme,
énigme millénaire pour les humains qui ne se contentent pas de la
pseudo-vérité biblique, précisent :
«
Nous allons devoir entraîner le lecteur loin de l'horizon traditionnel
des pays bibliques pour qu'il puisse réaliser à quel point les
différentes phases du déluge de Noé n'ont pu se dérouler que sur les
bords de la mer Noire, à l'exclusion de tout autre point du globe.
Le récit de la Genèse sera alors non seulement situé dans le temps et
dans l'espace de manière irrécusable, mais chacun des épisodes deviendra
plus crédible à la lumière des nouvelles découvertes de la science. »
Il
faut constater que cette hypothèse colle admirablement avec les données
scientifiques et qu'il revenait à des glaciologues et des hydrologues
de résoudre ce mystère plusieurs fois millénaire : « Le Déluge a-t-il
vraiment eu lieu ? et si oui, quand ? » Nous allons voir maintenant le
déroulement des différentes phases du cataclysme et ses répercussions
humaines, qui ont été si importantes que 8700 ans après nous nous en faisons encore l'écho. Avec ce progrès immense de pouvoir croire que le scénario actuellement retenu est assez proche de la réalité des faits.
Un glacier scandinave de plus en plus instable
Le
Déluge ne fut qu'un épisode particulièrement spectaculaire d'un
processus physique beaucoup plus global et qui démarra bien avant –6700.
Depuis plus de 1000 ans, le glacier scandinave, dernier rescapé
de la période glaciaire, se désagrégeait progressivement en liaison
avec le réchauffement de la température. La base même du gigantesque
glacier se réchauffait, ce qui permit la formation de poches d'eau de
plus en plus nombreuses et volumineuses au contact du substrat rocheux
qui servait d'assise et de point de fixation.
De
telles poches d'eau sont les prémices de catastrophes de grande
envergure. A plus forte raison pour le glacier scandinave dont le volume
se mesurait encore à près de 800 000 km³, soit le cinquième de sa masse initiale. Sa fragilisation de plus en plus accélérée par l'augmentation de la température, et plus encore par la chaleur géothermique
qui agissait par le dessous, décollant littéralement le plancher du
glacier, ne pouvait durer éternellement. Cette fragilisation déboucha
d'abord sur la partition en deux glaciers autonomes, encore accrochés
pour une ultime survie à leur substrat rocheux. C'est ce que les
glaciologues ont appelé la bipartition du glacier fenno-scandien. Puis
arriva inexorablement le moment du point de rupture.
Dans
leur livre L'homme et les déluges, qui retrace magnifiquement
l'histoire de ce glacier géant, André et Denise Capart parlent de cet
instant critique qui se passa dans le nord de l'Europe :
«
Y eut-il des oreilles humaines pour percevoir le bruit de tonnerre de
ce que les glaciologues ont appelé la "bipartition" ? Pour eux, tout
s'est probablement passé dans les solitudes glacées d'un monde chaotique
où s'affrontaient les forces aveugles d'une nature inhumaine. De toute
façon, personne n'a dû survivre au cataclysme pour le décrire, ce qui
n'empêche pas les savants de dater à un ou deux siècles près l'ultime
destruction de ce qui fut la calotte glaciaire fenno-scandienne : aux
alentours de l'an 6700. »
La débâcle de –6700
Les glaciologues qui ont étudié très en détail ce phénomène exceptionnel pensent que près
d'un quart (200 000 km³) resta accroché sur les monts scandinaves et
qu'un autre quart déboula vers l'ouest et atteignit les côtes de la mer
du Nord (ouvrant, nous l'avons dit, le passage avec la Manche). La moitié environ de ce glacier moribond (400 000 km³) s'effondra vers l'est dans le lac Baltique
(alors fermé à l'ouest), charriant, outre la glace et l'eau qui le
composait, une quantité de roches décrochées du substrat sous-jacent,
provoquant dans un premier temps un raz-de-marée comme la Terre n'en a pas connu depuis, haut de plusieurs centaines de mètres.
Dans un deuxième temps, l'onde de choc submergea les pays Baltes, inversant sans problème le cours des rivières
qui coulaient ordinairement vers le nord. Le mur d'eau était désormais
inarrêtable et son parcours a pu être déterminé avec précision. Ce
furent d'abord les barrières de Minsk (en Belarus actuel) qui furent détruites et franchies,
puis les marais du Pripet (à la frontière Belarus et Ukraine) et de la
Bérésina (plus au nord en Belarus), deux affluents du Dniepr, le grand
fleuve qui arrose l'Europe de l'Est du nord au sud. Ces marais, vestiges du cataclysme, n'ont jamais pu être totalement asséchés depuis.
Le mur d'eau qui représentait encore un cinquième de la masse initiale (soit 80 000 km³) s'engouffra
ensuite dans la vallée même du Dniepr sur un front de près de 10 km,
identifié avec le lit majeur du fleuve encore facilement repérable
aujourd'hui, débouchant sur la mer Noire après avoir éliminé tous les
obstacles sur son passage à travers les plaines de l'Ukraine.
La mer Noire et l'histoire de Noé
Le niveau de la mer Noire, qui était inférieur de 60 mètres au niveau actuel, monta alors à une vitesse vertigineuse au contact avec le mur d'eau qui alla
se heurter aux monts de Cappadoce (aujourd'hui en Turquie) et
d'Arménie, se frayant quelques passages entre les montagnes, repoussant
l'eau des cours d'eau vers leur source.
C'est
à ce moment précis qu’André et Denise Capart placent l'histoire de Noé
et de son arche, histoire qui pourrait être, d'après eux, plus ou moins
véridique. Poussée par le mur d'eau, à partir de la mer Noire,
l'embarcation du patriarche aurait bel et bien pu se retrouver en haut
d'une montagne de Turquie et d'Arménie. L'histoire du mont
Ararat, qui a traversé les millénaires sans jamais trop convaincre (à
part les fondamentalistes, pour qui la Bible doit se lire au premier
degré) ne leur paraît pas invraisemblable. Bien
sûr la légende a embelli l'histoire, mais Noé (ou un autre) pourrait
être un rescapé du cataclysme de la mer Noire, lui même consécutif à la
débâcle du glacier scandinave.
C'est la première fois que la légende biblique trouve sa place dans une version scientifique d'un déluge. L'histoire
pourrait donc remonter en fait à –6700 Av JC, c'est-à-dire à une
période beaucoup plus ancienne que les –4000 du déluge de Sumer et a
fortiori que les –2348 de la Genèse. Ce n’est pas très surprenant en fait. Tout
montre que le mythe écrase le temps et certains événements de
l’histoire ancienne devront peut-être être nettement reculés dans le
temps. Croire que toutes les dates actuellement retenues sont
définitives relève de l’utopie.
La
tradition orale a probablement permis le transfert de l'histoire d'un
rescapé du Déluge d'une civilisation à une autre dans tout le Bassin
méditerranéen et dans tout le Proche et le Moyen Orient. C'est donc au
fil des siècles que certaines variantes, adaptées au milieu local et à
la mythologie régionale, auraient pu voir le jour et supplanter
l'histoire originale.
Terminus : mer Égée
Mais
bien sûr l'histoire du raz-de-marée d'origine glaciaire ne s'arrête pas
à la mer Noire et à Noé (dont l'épopée ne fut qu'un épiphénomène tout à
fait marginal), et nous allons voir la fin du périple pour ces kilomètres cubes d'eau douce qui ont fait le voyage Scandinavie-mer Égée en quelques jours ou quelques semaines.
Par contre, la totalité du flot en provenance du nord mit probablement plus d'une année à s'écouler totalement,
laissant sur son passage des régions totalement dévastées, des
populations anéanties et à plus long terme une géographie transformée.
Ainsi on pense que la superficie de la mer Noire (qui est aujourd'hui
de 420 000 km²) a pu augmenter d'un tiers et son niveau de 60 mètres en
quelques mois seulement.
Très
rapidement le seuil d'Istamboul fut atteint et la mer de Marmara fut
inondée à son tour. Il faut savoir que le Dniepr à l'époque de la
débâcle glaciaire déversait près de 80 km³ d'eau par jour, ce qui est
tout à fait considérable, alors que le détroit du Bosphore n'en laissait
passer que 30 km³. Donc, bien que le Bosphore ait servi de déversoir
naturel, la mer Noire continua de monter, inondant sans cesse des côtes
autrefois à sec. Quand elle atteignit la cote +80 mètres, par
rapport à son ancien niveau, l'eau put s'écouler par un deuxième
exutoire vers le sud : la vallée de Sakariah située à 100 km à l'est du
Bosphore, avant de rejoindre le golfe d'Izmit, extension est de la mer
de Marmara. Ainsi celle-ci subit à son tour un sort analogue à la mer
Noire, voyant sans cesse son niveau monter.
Photograph: Keith Morris/LNP
Laissons la conclusion à André et Denise Capart :
«
Il faudra des mois, voire des années, pour que l'eau douce ainsi
stockée se déverse dans la Méditerranée et établisse le fragile
équilibre de leurs niveaux respectifs. Mer Noire et mer Egée
sont enfin reliées par deux détroits qui dressent une barrière
symbolique mais définitive entre l'Asie Mineure et le monde balkanique. »
Une géographie nouvelle issue du Déluge
La
géographie de la mer Égée a été transformée très rapidement, phénomène
si étonnant pour les Anciens que plusieurs textes de l'Antiquité le
relate, rapportés notamment par Hérodote (484-420) et Diodore de Sicile (90-20) qui vécut à l'époque des derniers soubresauts de ces changements du niveau de la mer.
Relisons ce texte important de Diodore, concernant
les habitants de Samothrace, une île grecque du nord de la mer Egée
dont la surface aujourd'hui est de 180 km², mais qui était beaucoup plus
grande il y a quelques milliers d'années.
«
Les Samothraces racontent qu'avant les déluges qui ont frappé les
autres nations, il y en avait eu, chez eux, un très grand par la rupture
de la terre qui environne les Cyanées et, par suite, de celle qui forme
l'Hellespont. Le Pont-Euxin, c'est-à-dire la mer Noire, n'était alors
qu'un lac tellement grossi par les eaux des fleuves qui s'y jettent
qu'il déborda, versa ses eaux dans l'Hellespont et inonda une grande
partie de l'Asie. Une vaste plaine de la Samothrace fut
convertie en mer. C'est pourquoi, longtemps après, quelques pêcheurs
ramenèrent dans leurs filets des chapiteaux de colonnes de pierre, comme
s'il y avait eu là des villes submergées. Le reste des
habitants se réfugia sur les lieux les plus élevés de l'île. Mais la mer
continuant à s'accroître, les insulaires invoquèrent les dieux et
sauvés du péril, ils marquèrent tout autour de l'île les limites de
l'inondation et y dressèrent des autels où ils offrent encore de nos
jours des sacrifices. Il est donc évident que Samothrace a été habitée
avant le Déluge. »
On
voit à travers ce texte, récit des conséquences locales d'un cataclysme
vieux de plusieurs milliers d'années, combien les effets du Déluge
avaient alarmé les habitants de l'époque. Ils durent supplier les dieux
pour être sauvés de la destruction totale.
Diodore
ne contestait pas l'authenticité du Déluge (le vrai et pas ses ersatz
qui furent multiples durant les millénaires suivants), ni son
ancienneté, car il était persuadé que ce grand cataclysme avait marqué
la fin d'un des âges du monde dans un passé déjà conséquent. Il
ne faut pas oublier que plusieurs philosophes penchaient pour un Univers
vieux de plus de 10 000 ans, période durant laquelle le Déluge trouve
sa place sans problème. Pour en revenir au texte cité plus haut, il faut aussi noter son commentaire très intéressant sur les îles Cyanées. Leur
isolement remontait au cataclysme de –6700, car auparavant, au niveau
–38 mètres dans la mer de Marmara, elles faisaient partie intégrante de
l'Asie Mineure.
Hérodote,
quatre siècles plus tôt, parlait des îles Cyanées comme des îles
flottantes ou îles noyées car comme elles étaient très basses sur l'eau,
elles furent tour à tour apparentes ou submergées au fil des siècles
selon la fluctuation quasi continuelle du niveau de la mer de Marmara.
On
sait que la mer Égée fut particulièrement tributaire du niveau des eaux
marines, leur montée isolant certaines îles et réduisant la superficie
d'autres, surtout sur la côte asiatique. Chaque cartographie de la
région était obligée de prendre en compte les nouvelles transformations.
Une multitude de déluges locaux partout dans le monde
Nous
avons insisté sur le Déluge de Noé, version glaciologues (beaucoup plus
crédible que les diverses versions mythologiques), car il nous montre
quelques conséquences géographiques et humaines d'une déglaciation
importante et de sa phase ultime la débâcle. Cette débâcle a eu lieu
bien souvent sous d'autres cieux que la Scandinavie. De très nombreuses observations ont montré que l'Amérique du Nord
a particulièrement souffert de la dernière grande glaciation et aussi
de la déglaciation qui a suivi. Souvent des débâcles ont découlé sur des
cataclysmes en chaîne : raz-de- marée, destructions de cordons
littoraux, inondations, décimations de populations humaines et animales,
géographie transformée. "
Jacobs
Autres Sources : http://www.ceredigioncoastpath.org.uk/submerged.html
http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/02/21/atlantide-une-foret-prehistorique-deterree-par-la-tempete-au-pays-de-galles/
Autres liens sur le sujet ou connexes :
Yves Herbo, Sciences-F-Histoires, 24-02-2014
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