mercredi 3 juin 2015

Un paradigme s'effondre : l'Homme n'a ni inventé les outils, ni le langage

Un paradigme s'effondre : l'Homme (le genre Homo) n'a ni inventé les outils, ni l'unique langage...

Mone

Un singe Mone de Campbell qui sait communiquer...

Il y a des découvertes comme ça qui remettent parfois tout en question. En général, ces découvertes sont la plupart du temps écartées d'office et leurs découvreurs mis à mal par leurs confrères, pendant des années. Deux découvertes publiées ces derniers jours remettent en question des dogmes très longtemps "bordés" et approuvés par l'ensemble du monde scientifique. Des dogmes qui rejoignaient d'ailleurs la même idée centrale et "anthropomorphique" : c'est le genre Homo et son avènement qui a amené sur la Terre une créativité intellectuelle et une évolution dont nous sommes le résultat actuel avec l'Homme Moderne. Autrement dit, ce sont les premières races humaines qui avaient fait toutes les découvertes évolutives, qui s'étaient "redressées" sur leur deux jambes et avaient créé les premiers outils de pierre et qui avaient fini par créer les premiers arts, le langage puis l'écriture, etc...

Et bien la preuve du contraire vient d'être établie formellement sur deux de ces évolutions autrefois liées au genre "Homo" (Homo Habilis étant le premier dans la chronologie actuelle). Ces découvertes concernent l'outillage et le langage, la communication.

La première découverte, très importante sur tout le chemin évolutif, concerne la taille volontaire et appliquée de pierres à des fins d'outillage (armes de jet, pointes de flèches, tannerie, cuisine et vaisselle, etc...). Cette découverte date de 1997 mais il a fallut tout ce temps pour "être sûr" et abattre les dogmes précédents (et notamment la théorie du français Yves Coppens (qu'il avait d'ailleurs lui-même commencé à abandonner dernièrement suite aux découvertes récentes en Afrique) d'une évolution à partir de la naissance du genre Homo qui se serait "redressé" sur ses deux jambes à cause des changements climatiques jungle-savane...), en faisant d'autres découvertes du même type et aussi ancien. Mais c'est aussi une française qui est à l'origine de cette nouvelle découverte, même si elle a dû "émigrer" aux Etats-Unis pour avoir plus de moyens (et de reconnaissances) car c'est bien la française Sonia Harmand qui avait déjà fait une première découverte en 1997, découverte renforcée par d'autres en 2011.


On the banks of the lake Turkana, a number of archaeological and paleontogical discoveries have been made that shed a new light on the origin of mankind. The WTAP (west turkana archaeological project), a Franco-Kenyan team, has been conducting excavations on the left bank of Lake Turkana for several decades. In 1997, they made a major discovery : they unearthed the oldest stone tools found in Kenya, dated back to 2.34 million years old. Albert Leminbach - Youtube

Et des découvertes de 2011 encore meilleures qu'escompté car le record d'ancienneté pour des outils taillés volontairement dans la pierre a été battu : 3,3 millions d'années ! Vous avez bien lu. Ces dates sont plus anciennes que le premier hominidé du genre Homo connu, et il faut donc attribuer ces premiers outils aux "primates" homininés australopithèques ou autres, de lignées non "Homo".

Cartelackenya

La publication scientifique dans Nature par l’archéologue française Sonia Harmand et son collègue Jason E. Lewis, tous deux de l’université de Stony Brook (États-Unis) et directeurs du West Turkana Archaeological Project (WTAP), soutenus par 19 membres de leur équipe est très complète et apporte des détails sur les méthodes employées pour les datations des outils, notamment la téphrostratigraphie. Une technique qui rend possible la datation des couches de cendres par des procédés physico-chimiques et qui a pu être utilisée car l’on disposait dans ce cas, d’une couche de sédiments prise en sandwich entre deux couches de cendres volcaniques. En effet, sauf perturbation géologique établie, une strate est toujours plus vieille que celle qui la recouvre. La datation des deux couches de cendres entre lesquelles s’intercalait cette couche sédimentaire dans laquelle se trouvaient ces outils permet donc d’encadrer l’âge de la couche sédimentaire en question et ce qui s'y trouve. 

Ces découvertes ont été faites sur le site nommé Lomekwi 3, dans la région du lac Turkana, au Kenya et donc dans le Grand Rift africain. C'est déjà dans la même région, sur les rives de l'ouest du lac Turkana que la française avait déjà trouvé en 1997 les plus anciens outils de pierre taillée, mais les datations n'étaient pas aussi anciennes que celles effectuées sur les outils découverts en 2011. Depuis 2011 donc, c'est une équipe internationale de 19 chercheurs qui se sont donnés comme mission de dater le plus précisément possibles les outils trouvés et apporter enfin les preuves que ce n'étaient pas les premiers humains (Homo Habilis qui a habité la région aussi plus tard) qui en étaient responsables, mais bien des races non humaines et plus anciennes.


Sonia Harmand and Jason Lewis, research professors at Stony Brook University's Turkana Basin Institute, rewrote the prehistory books when they unearthed the earliest tools ever found - dated at 3.3 million years old.

Cette découverte attestée repousse donc bien officiellement d'au minimum 700.000 ans les débuts de l'industrie lithique chez les homininés, et bien avant l'apparition du premier genre Homo. C'est un véritable changement de paradigme, une révolution dans le milieu de la paléontologie. Sonia Harmand l'explique elle-même dans l'article : " ces outils mettent en lumière une période inattendue et inconnue de l’histoire du comportement des homininés et ils peuvent nous apprendre beaucoup sur le développement cognitif de nos ancêtres que nous ne pouvions comprendre uniquement à partir de leurs fossiles ».

Jason Lewis ajoute : « La conception habituelle de l’évolution humaine supposait que l’origine de l’industrie lithique était liée à l’émergence du genre Homo. Le développement de cette technologie était aussi supposé être connecté au changement climatique ayant provoqué le développement de la savane. L’hypothèse était donc que seule notre lignée avait accompli le bond cognitif consistant à faire se percuter des pierres pour en tirer des éclats et que cela avait été à la source du succès de notre processus évolutif ». Une hypothèse donc démentie, d'autant plus qu'ils ont prouvé au passage que l'environnement dans lequel vivaient ces homininés "habiles" était bien la jungle et non la savane...

En effet, il est maintenant prouvé que ces homininés se sont servis de gros blocs lourds et volumineux de lave pour construire leurs outilsSonia Harmand écrit d’ailleurs que " l’étude de la taille des outils fait apparaître l'utilisation de gestes qui rappellent ceux des chimpanzés utilisant des pierres pour ouvrir des fruits à coque. On est donc peut-être en présence d’une technologie en transition, utilisée pour exploiter des plantes en forêt et précédant celle utilisée par Homo Habilis pendant l’Oldowayen, bien plus tard, entre 2,6 et 1,7 millions d’années environ avant maintenant.

On pourrait presque supposer que ces êtres entre primates et hommes se sont donc transformés en "cogneurs-lanceurs de pierres" et portant des "munitions", les obligeant ainsi à se redresser debout et à développer les muscles des jambes et des bras pour utiliser leurs pierres...

Mais les recherches continuent sur l'ouest du lac Turkana car la scientifique française est persuadée que 3,3 millions d'années n'est pas la date des tous débuts de l'industrie lithique : les pierres sont déjà trop complexes pour être le produit de chocs répétés hasardeux et qu'il doit donc exister des outils plus anciens encore...

En ce qui concerne les dénominations hominoïdes, hominidés, homininéshttp://www.snv.jussieu.fr/vie/faq/ts/hominine.htm​


http://www.futura-sciences.com/magazines/sciences/infos/actu/d/archeologie-hominines-taillaient-deja-outils-il-y-33-millions-annees-58333/#xtor=RSS-8

Mais là où certains font également (ou tentent) de faire des corrélations, c'est sur les découvertes et annonces faites sur d'autres découvertes... au Kenya justement ! Mais ces fossiles d'un nouveau genre (Homo ?) semblent trop récents pour être comparés à ces outils de 3.3 millions d'années... mais ils ont été découverts sur les rives Est du même lac Turkana ! Un hasard ? : http://www.sciences-fictions-histoires.com/blog/archeologie/le-genre-homo-s-enrichit-de-deux-especes-d-apres-des-fossiles-kenyans.html​



L'autre découverte est tout aussi surprenante car l'on y découvre que l'homme n'est pas l'inventeur du langage à priori, ou le seul à en utiliser un... car au moins une race animale (ou jugée comme telle par notre intelligence sélective) utilise aussi un langage de communication complexe utilisant les suffixes ! On ne quitte pas l'Afrique car cette découverte a été faite en Côte d'Ivoire...

Le langage a une origine très mystérieuse chez l'Homme et on pensait que seul l'être humain connaissait la possibilité de combiner des sons pour générer une infinité de messages codifiés.  Ce sont des éthologistes du laboratoire EthoS, en collaboration avec des chercheurs de l'université de St Andrews (Ecosse) et de l'université d'Abidjan (Côte d'Ivoire, qui ont voulu démonter ce dogme en étudiant des animaux assez proches de l'homme, puisqu'il s'agit de primates. Certains pourraient aussi noter que, question sons, on devrait aussi étudier les possibilités des dauphins et de certains oiseaux (mainates, perroquets)... Ils se sont penchés sur les communications entre les singes cercopithèques en Côte d'Ivoire, et ont découvert qu'ils ajoutaient un suffixe à leurs cris d'alarme pour modifier le message encodé. Cette étude a été publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society of London B.

Mone

mone de Campbell, un petit singe forestier de la famille des cercopithèques

L'étude s'est donc portée sur la mone de Campbell, un petit singe forestier de la famille des cercopithèques, qui possède la forme de communication vocale la plus élaborée jamais décrite dans le monde animal. La mone de campbell utilise une sémantique, une syntaxe et un vocabulaire spécifiques. En fait, ce n'est pas réellement nouveau mais les avis divergeaient toujours un peu selon les études. Auparavanti, des éthologues avaient suivi pendant 2 ans 8 groupes de primates du parc national de Taï, en Côte d'Ivoire, habitués à la présence humaine. Et l'analyse des 7.000 cris qu'ils ont enregistrés en réponse à des stimulations naturelles ou provoquées par des leurres de prédateurs (diffusion de cris, modèles empaillés) avait livré des résultats pour le moins surprenants.

UNE FORME DE SYNTAXE

Primo, leur vocabulaire est plus riche que ce que l'on pensait, grâce à l'ajout du suffixe "oo" aux trois sons d'alarme déjà décrits chez ce singe. Ainsi, alors que "hok" et "krak" indiquent respectivement la présence d'un aigle et d'un léopard, "hok-oo" et "krak-oo" signalent un danger autre, comme la chute d'une branche.

Secundo, le primate utilise une syntaxe primitive : il émet des séquences composées chacune d'environ 25 cris qu'il combine ou enchaîne différemment selon le contexte. Le mâle intercale par exemple significativement plus de "hok-oo" dans la séquence s'il voit un aigle que s'il l'entend simplement, signalant ainsi au groupe un danger plus imminent.

Tertio, les cris des femelles, plus sociaux que ceux du mâle, ressemblent par certains aspects à la conversation chez l'homme, avec en particulier le respect d'un délai pour les réponses. Une sémantique, une syntaxe, une conversation : la communication vocale de la mone comporte donc les prémices des trois éléments fondateurs du langage humain. Une aptitude qui protège le groupe des prédateurs, coordonne ses déplacements, favorise ses liens sociaux... et nous renseigne sur l'origine possible de notre langage.

Cette fois-ci, ils ont été plus loin et ont franchi une étape importante dans la compréhension de ce phénomène de l'ajout de suffixes en testant expérimentalement la validité de cette hypothèse combinatoire. Leur objectif était de vérifier si le phénomène observé résultait réellement d'une combinaison d'un cri "Krak" avec un suffixe "oo", autrement dit, de tester si "Krak + oo" = "Krak-oo" pour les singes entendant ces cris. Pour cela, ils ont diffusé par haut-parleurs des cris "Krak" et "Krak-oo" naturels ainsi que des cris "Krak" et "Krak-oo" artificiels (en supprimant ou ajoutant le suffixe) à 42 groupes de singes Diane sauvages, une autre espèce de primates non-humains vivant en association avec les mones de Campbell. Les résultats montrent que les sujets ont réagi plus fortement aux cris non suffixés (Krak) qu'aux cris suffixés (Krak-oo), en accord avec l'importance du danger encodé. Surtout, cette étude a révélé que les singes ont réagi de manière comparable aux cris naturels et aux cris artificiels, confirmant l'hypothèse d'une capacité combinatoire.



Ces résultats sont particulièrement intéressants car ils démontrent expérimentalement, pour la première fois chez l'animal, l'existence d'un système combinatoire modifiant le message transmis de manière pertinente pour les receveurs. Ce système permettrait donc effectivement aux singes de diversifier les messages transmis aux autres individus en dépit de capacités articulatoires limitées. La capacité à combiner des sons aurait ainsi été une étape clé dans l'émergence du langage, y compris chez l'Homme...




Yves Herbo, Sciences, F, Histoires, 23-05-2015

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