Exoplanète : une géante gazeuse défie la cosmogonie
Une
douzaine d'exoplanètes ont été imagées directement autour d'étoiles
similaires au Soleil. D'après une équipe internationale d'astronomes, la
géante gazeuse GJ 504b, qu'ils viennent de découvrir en utilisant le télescope Subaru, serait la plus légère des exoplanètes
de ce genre imagées à ce jour. Ils en parlent comme d'une « deuxième
Jupiter ». Mais l'essentiel n'est pas là. Avec sa masse et sa distance à
l'étoile 59 Virginis, cette exoplanète semble remettre en cause les modèles de formation des géantes gazeuses.
Depuis 1995, l’humanité a découvert environ 890 exoplanètes,
la plupart en utilisant la méthode des vitesses radiales ou celle du
transit planétaire. Mais quelques-unes l’ont été en obtenant une image
directe. Il a tout de même fallu pour cela mobiliser l’optique
adaptative et l'imagerie différentielle.
Une
équipe internationale d’astronomes vient d’annoncer qu’elle a
probablement battu un record, jusqu’ici détenu par HD 95 086b. GJ 504b
serait en effet la plus légère des exoplanètes imagées directement
autour d'une étoile de type solaire, avec une masse minimale d’au moins trois fois celle de Jupiter. Elle est en
orbite à 44 unités astronomiques autour de l’étoile 59 Virginis, située
à environ 57 années-lumière du Soleil, dans la constellation de la
Vierge. Aussi connue sous le nom de GJ 504, 59 Virginis est une étoile de type G0. Elle ressemble donc beaucoup au Soleil.
Comme
le montre ce schéma, il n'est pas difficile de voir sur la voûte
céleste l'étoile autour de laquelle tourne l'exoplanète GJ 504b. Il
suffit de regarder avec une bonne paire de jumelles la constellation de
la Vierge. © Nasa’s Goddard Space Flight Center
Optique adaptive et imagerie différentielle, les clés pour voir GJ 504b
L'équipe
à l’origine de cette découverte est composée de plus de 120 membres
(les deux tiers en provenance du Japon, et un tiers des États-Unis et
d’Europe) et de plus de 25 instituts. Dans le cadre d’un projet de
recherche baptisé Strategic Explorations of Exoplanets and Disks with
Subaru (Seeds), les chercheurs ont utilisé le High Contrast Instrument
for the Subaru Next Generation Adaptive Optics (HiCIAO), équipant le
télescope Subaru, afin de voir directement dans l’infrarouge une
éventuelle exoplanète autour de l’étoile GJ 504, comme ils l’expliquent
dans un article déposé sur arxiv.
Comme
pour les premières exoplanètes découvertes directement par imagerie
autour de l’étoile HR 8799, la fameuse technique d’imagerie
différentielle a été essentielle. Elle permet d’une part d’augmenter le
contraste entre la planète et son étoile hôte de brillance élevée, et
d’autre part de supprimer cette étoile comme pour la coronographie.
L’image finale obtenue révèle alors des géantes gazeuses lorsqu’elles
sont suffisamment loin de l’astre central. Il faut aussi que
l’exoplanète soit brillante dans l’infrarouge. C’est pourquoi l’on
cherche à imager de cette façon des astres encore relativement chauds,
c'est-à-dire jeunes.
Vue d'artiste de l'exoplanète GJ 504b en orbite autour de l'étoile 59 Virginis, aussi appelée GJ 504. Âgée d'environ 100 millions d'années, elle est encore chaude et apparaît magenta dans le visible. Située à 44 unités astronomiques de son astre central, elle ne devrait pas exister selon le modèle cosmogonique standard expliquant la formation des géantes gazeuses. © Nasa's Goddard Space Flight Center, S. Wiessinger
Masse de l'exoplanète GJ 504b déduite de son âge et de sa température
GJ
504b tourne autour d’une étoile dont la théorie de la structure et de
l’évolution stellaire permet d’estimer l’âge. À partir de la couleur et
de la vitesse de rotation de 59 Virginis, on calcule qu’elle doit être âgée d’environ 160 millions d’années.
Ce doit donc être l’ordre de grandeur de l’âge de l’exoplanète, qui
doit encore contenir une part non négligeable de sa chaleur de
formation. De fait, sa température est effectivement de 237 °C,
et elle est donc plutôt brillante. Dans le visible, elle affiche une
couleur proche du magenta.
Connaissant
sa température, sa luminosité et une estimation de son âge, on peut
introduire ces données dans les modèles de planètes géantes et tenter de
calculer sa masse. Compte tenu des incertitudes de ces modèles, on
trouve une masse d’au moins trois fois celle de Jupiter. Si tel est le
cas, ce serait donc un record. GJ 504b serait actuellement la plus
légère des exoplanètes imagées directement autour d’une étoile de type
solaire. Toujours est-il que les astronomes n'hésitent pas à parler de «
deuxième Jupiter » au sujet de GJ 504b.
Si la masse de GJ
504b se révèle finalement supérieure à quatre fois celle de Jupiter, il
n’en reste pas moins que cette exoplanète est remarquable parce que son
existence entre en conflit avec les modèles cosmogoniques classiques
pour la formation des géantes gazeuses. Rappelons que la
cosmogonie (du grec cosmo, « monde » et gon, « engendrer ») traite de
la naissance générale de l’univers, c'est-à-dire le cosmos lui-même, et
bien sûr les étoiles et les systèmes planétaires. Elle se distingue donc
quelque peu de la cosmologie, qui traite plutôt des lois générales, et
surtout de la structure de l’univers pris comme une totalité.
Après
le traitement des images prises par le télescope Subaru, l'image finale
obtenue a permis de découvrir une exoplanète brillante autour de GJ
504. Il s'agit d'une géante gazeuse ressemblant à Jupiter, mais à une
distance de son étoile hôte un peu plus grande que celle de Neptune au
Soleil (orbite en pointillés). © Nasa’s Goddard Space Flight Center,
NOAJ
Théorie de l'accrétion contre théorie de l'instabilité gravitationnelle
Dans
le cadre des modèles expliquant la naissance des exoplanètes, la
théorie qui marche le mieux et qui est la plus soutenue par les
observations est celle de la formation initiale d’un cœur solide.
Comme pour les planètes telluriques, tout commence par l’accrétion de
petits corps rocheux, mais aussi de comètes, puisque pour les géantes,
on se trouve au-delà de la limite où de la glace d’eau se forme. Le cœur
rocheux massif qui apparaît se trouve dans un disque protoplanétaire
encore riche en gaz, et il accrète donc massivement celui-ci. C’est
ainsi que des planètes comme Jupiter et Saturne se seraient formées. Ce scénario échoue dans le cas de GJ 504b, parce qu’elle se trouve à plus de 30 unités astronomiques de son étoile.
Il y a bien un autre scénario qui permet d’expliquer la formation des géantes gazeuse de ce genre. Il les fait naître un peu comme les étoiles, par instabilité gravitationnelle du gaz
dans le disque, qui s’effondre donc directement pour former une
planète. Mais ce scénario suppose un disque protoplanétaire très massif,
et on a du mal à justifier l’existence de tels disques.
Incontestablement,
comme lorsque l’on a découvert les Jupiter chaudes, il y a encore des
choses que l’on ne comprend pas dans les mécanismes à l’origine de la
formation des systèmes planétaires.
Yves
Herbo : Plus on cherche, plus on s'aperçoit en effet que le terrain sur
lequel nous sommes assis avec nos certitudes n'est que du sable mouvant
et que nos réalités ne sont pas si stables ni définitives qu'on ne le
pense...
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