Il y a 200000 ans en France, l'Homme de Tourville
En haut, les fossiles de bras trouvés à Tourville comparés à un squelette normal de bras
Avec la découverte mi 2014, lors des fouilles des sables de l'ancienne falaise de Tourville-la-Rivière, en Normandie, France, de trois fossiles d'os humains provenant d'un bras, les perspectives sur une race inconnue d'hominidés dans tout le nord de l'Europe se sont trouvées renforcées, ou tout au moins la présence beaucoup plus tôt qu'on ne le pensait des premiers néanderliens si haut en Europe. Car le rapport des scientifiques paru dans la revue internationale PLOS ONE à l'automne 2014 est sans équivoque sur la datation de ces fossiles, qui sont donc à rapprocher des quelques autres trouvés. Si ces derniers sont peu nombreux, avec seulement deux morceaux de crânes trouvés dans le Nord de la France et une dizaine d'autres vestiges répartis entre l'Allemagne et l'Angleterre, leur nombre s’accroît avec la ténacité des chercheurs et de la chance. On pourrait d'ailleurs probablement également citer les empreintes de pieds nus découverts également l'année dernière lors des basses marées exceptionnelles qui se sont produites en Angleterre et dont j'ai parlé dans un autre article.
Quels étaient ces hommes préhistoriques du nord de l'Europe, qui avaient devancé de plusieurs milliers d'années les néandertaliens que l'on retrouve partout en Europe (et peut-être ailleurs !) vers -100.000 ans, et dont ils sont bien distincts du point de vue caractéristiques d'après les études ? Beaucoup de scientifiques les nomment des "pré-néandertaliens" sans trop se mouiller mais surtout pour pouvoir leur donner un nom. Que dit ce rapport et quels sont les quelques autres fossiles trouvés ?
Ce rapport a été publié par des chercheurs du CNRS, de l’Inrap, de l’université nationale australienne, du Centre national de recherche sur l’évolution de l’Homme à Burgos (Espagne) et du département d’Anthropologie de l’université Washington à Saint Louis. En fait, le site de Tourville où a été trouvé ces fossiles n'est que le 12ème de ce type dans le nord européen, qui y représentent à eux seuls la période du pléistocène moyen (entre 781.000 ans et 128.000 ans avant maintenant - notez que j'ai parlé de la période -129.000 à - 125.000 ans récemment, époque d'une fonte des glaces spectaculaire et d'un réchauffement similaire à celui que nous connaissons de nos jours) du point de vue fossiles humains.
" Ces fossiles de Tourville constituent donc une découverte majeure pour la connaissance sur ces lointains hominidés européens et se composent des trois os longs du bras gauche d’un même individu (humérus, cubitus et radius). L’étude paléoanthropologique et les analyses morphologiques et métriques permettent de les attribuer à la lignée néandertalienne, (YH : avec toutefois une nuance de taille, car c'est la première fois qu'une crête inhabituelle, à l’endroit de l’attache du muscle deltoïde est détectée chez le néandertalien). Le fossile et l’occupation humaine sur le site de Tourville-la-Rivière sont datés entre 236 000 et 183 000 ans. Cinq échantillons d’os humains ont été analysés par les isotopes radioactifs de la série de l’Uranium 238 et huit dents animales par la même méthode et celle de l’Electro spin raisonnance (ESR). S’il est impossible de déterminer le sexe de l’individu, en raison des dimensions des diaphyses des trois os, ils pouvaient appartenir à un « grand » adolescent ou à un adulte. L’absence de preuves d’une intervention humaine ou de carnivores sur les ossements laisse envisager un scénario : le bras entier de ce pré-Néandertalien a été charrié par la Seine avant de se déposer, avec ou sans la main, sur les berges ou sur des bancs de sable au pied de la falaise crayeuse de Tourville-la-Rivière. " (YH : oui mais alors quel rapport entre le bras et l'occupation humaine constatée sur le site de la même époque... ???).
" L’Homme de Tourville est donc le premier fossile humain aussi ancien qui révèle, sur son humérus, une crête inhabituelle à l’endroit de l’attache du muscle deltoïde. Cette anomalie physique (et n'oublions pas que le néandertalien, comme l'Homme et tous les hominidés, se distingue par un assemblage de caractéristiques physiques propres) résulte, selon toute vraisemblance, de la sollicitation du muscle deltoïde postérieur par un mouvement répétitif – peut-être celui du lancer – qui peut être comparable à celle observée chez certains athlètes professionnels contemporains. Bien que cette anomalie ait eu probablement peu d'influence sur la survie de l'individu, elle pose des questions sur le comportement individuel et collectif, la vie quotidienne des homininés du Paléolithique moyen.
Site préhistorique et paléontologique, Tourville-la-Rivière est situé dans un des nombreux méandres de la vallée de la Seine, à 14 km au sud de Rouen. Il offre une imposante séquence, de plus de 30 m de haut, reposant sur la basse terrasse de la Seine. La stratigraphie se compose de nappes d’alluvions qui se sont accumulées entre 350 000 et 130 000 ans avant notre ère. En 2010, la fouille d’un hectare s’est focalisée sur celles riches en vestiges et caractéristiques de la fin d’une période interglaciaire, datant d’environ 200 000 ans.
Les espèces animales présentes sont caractéristiques de ce contexte de fin de période interglaciaire : outre le cerf, on trouve l’aurochs et deux espèces d’équidés (dont l’hydrontin). Avec ces herbivores grégaires, il y a également du sanglier et du rhinocéros. Ils sont accompagnés de plusieurs carnivores : le loup, le renard, l’ours et la panthère. En plus de cette grande faune abondante, le site livre également des petits mammifères (chats sauvages) ou des rongeurs (castor, lièvre). Cette accumulation résulte, pour une large part, de phénomènes naturels : des carcasses animales, entières ou partielles, charriées par le fleuve, viennent se déposer sur les berges ou sur des bancs de sable de Tourville-la-Rivière. " (YH : notons qu'une fin de période interglaciaire consiste en général en un rafraichissement des températures, qui passent de tropicales à chaudes puis tempérées à froides et à une baisse du niveau de l'eau à cause de la glaciation qui reprend).
" L’industrie en silex est peu abondante au regard de la surface fouillée (500 objets seulement sur un hectare). Ce sont des lames et des éclats produits selon un processus particulier et complexe, la technique Levallois. Par exception, une petite aire de débitage concentre, sur moins de 3 m², 300 objets. Elle offre de précieuses informations sur les objectifs de production recherchés par les tailleurs pré-Néandertaliens. Les éclats et lames Levallois, remarquablement performants du point de vue fonctionnel, répondent à des besoins immédiats d’outils spécifiques et permettent de prélever des matières animales (viande, tendons, peaux…) sur la faune déposée naturellement sur les berges de la Seine. "
" L’industrie en silex est peu abondante au regard de la surface fouillée (500 objets seulement sur un hectare). Ce sont des lames et des éclats produits selon un processus particulier et complexe, la technique Levallois. Par exception, une petite aire de débitage concentre, sur moins de 3 m², 300 objets. Elle offre de précieuses informations sur les objectifs de production recherchés par les tailleurs pré-Néandertaliens. Les éclats et lames Levallois, remarquablement performants du point de vue fonctionnel, répondent à des besoins immédiats d’outils spécifiques et permettent de prélever des matières animales (viande, tendons, peaux…) sur la faune déposée naturellement sur les berges de la Seine. "
Références de l’article
FAIVRE J.-Ph., MAUREILLE B., BAYLE P., CREVECOEUR I., DUVAL M., GRÜN R., BEMILLI C., BONILAURI S., COUTARD S., BESSOU M., LIMONDIN-LOZOUET N., COTTARD A., DESHAYES T., DOUILLARD A., HENAFF X., PAUTRET-HOMERVILLE C., KINSLEY L., TRINKAUS E. – 2014. The Middle Pleistocene human remains from Tourville-la-Rivière (Normandy, France) and their archaeological context. PlosOne et INRAP.
Les autres fossiles trouvés dans le nord de la France :
L’Homme de Biache-Saint-Vaast, dans le Pas-deCalais (200.000 ans env.) découvert en 1976 est toujours considéré comme un pré-néandertalien car toutes les caractéristiques du néandertalien classique (celui qu'on retrouve partout en Europe à partir de -150.000 ans (-125.000 ans dans la Somme par exemple) n'y sont pas réunies. En fait, et c'est probablement la même chose pour l'Homme Moderne, l'Homo Sapiens sapiens, les caractéristiques d'un hominidé mettent des centaines de milliers d'années a s'établir et devenir communes à une race. Les tous premiers pré-néandertaliens ont été découverts dans le sud de l'Europe (l'Homme de Tautavel dans les Pyrénées-Orientales en serait l'un des plus vieux exemplaires d'après certains (contesté car attribué à Heidelbergengis par beaucoup), avec un âge de 400.000 ans environ, ainsi que ceux d'Espagne), bien qu'ils soient tellement archaïques, avec de grosses différences d'avec le néandertalien classique qu'un doute est toujours prononcé. Quoiqu'il en soit, on estime qu'à priori, les toutes premières caractéristiques du néandertaliens auraient dû apparaître il y a environ 500.000 ans, chez Homo Erecus et/ou Heidelbergengis, les hominidés plus anciens, pour devenir de vraies caractéristiques du néandertal vers -250.000 ans sans être encore du commun chez tous les individus. Mais il semble que les analyses génétiques ne l'ont pas démontré du tout jusqu'à présent car d'autres hominidés semblent présents (Denisoviens (?), Antecessor). Et en ce qui concerne l'Homme Moderne (Homo Sapiens), on considère que ses caractéristiques "modernes" sont apparues aux alentours de 190.000 ans avant maintenant (les premiers vrais "sapiens") mais que les pré-hommes modernes ont bien du se caractériser eux-mêmes lentement à partir de 400.000 à 300.000 ans...
Autrement dit, on voit que c'est compliqué, car, physiquement, les caractéristiques des races humaines ne deviennent communes à tous les individus qu'après un long processus de croisement entre les mêmes individus au cours des générations et que cela dure des centaines de milliers d'années... En plus, quand on constate que des homos Erectus ont encore été trouvés en Indonésie et ne sont datés que de -27.000 ans à -53.000 ans environ, que Homo Floresensis (descendant possible d'Erectus) ne date que de -18.000 ans environ, on se retrouve avec un tableau des hominidés très diversifié... et avec des datations étranges. Bon, notons que beaucoup ont été faites à l'époque avec la méthode du carbone 14, méthode de plus en plus contestée, et que les nouvelles datations à l'uranium, doublées d'autres, sont beaucoup plus fiables depuis... une dizaine d'années... regardez à ce sujet la liste des fossiles d'hominidés découverts, avec leur datation estimée pour vous faire une idée... Et, en plus, la génétique ajoute ses données maintenant, qui ne sont pas toujours en relation avec celles des paléontologues, ce qui promet de futurs débats encore très houleux !
Autres sources :
Yves Herbo, Sciences, F, Histoires, 22-01-2015
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