Néandertal : son intelligence proche de l'homme moderne se confirme de plus en plus
L'un des tout premiers outils en os découvert et affecté aux Néandertaliens - 55000 à 60000 ans avant maintenant, découvert en France, 2014
Cela fait déjà quelques années que je l'affirme (et je ne suis pas le seul) et la recherche scientifique est en train, lentement, de prouver ces affirmations issues de mûres réflexions logiques : non seulement les premiers hommes modernes, Homo Sapiens sapiens était beaucoup plus intelligent, non violent et très partageur, mais également son cousin Homo Neandertalensis, très proche et même peut-être d'autres (n'oublions pas qu'il y a aussi de Denisovien et (d'après la génétique) probablement une autre race encore totalement inconnue)... Trois récentes publications vont en tout cas dans ce même sens et ajoutent leurs petites pierres à cet édifice repoussé il y a encore à peine 10 ans par la majorité des préhistoriens... :
La première de ces deux études s'est déroulée en France, mais par des chercheurs de l'université Canadienne de Montréal, à la suite de excavation en juin 2014 d'un outil en os de la grotte du Bison, localisée à Arcy-sur-Cure, en Bourgogne, France. Une découverte attendue par plusieurs chercheurs depuis un moment car, avec sa datation et son lieu, il est indéniable que cet outil ait été fabriqué par l'homme de Neandertal, dont on n'avait jusqu'à présent trouvé que des outils en pierre...
Et mieux encore, il s'agit d'un outil à usage multiple, comme le décrivent les scientifiques, dont Luc Doyon qui confirme " C'est la première fois qu'un outil en os à usages multiples datant de cette période est découvert. Cela vient prouver que les Néandertaliens étaient en mesure de comprendre les propriétés mécaniques de l'os et savaient les exploiter pour fabriquer des outils, des capacités habituellement réservées à notre espèce, Homo sapien ". Pour rester prudent, on peut dire que cela participe à la remise en question de la vision linéaire de l'évolution du comportement humain (ou de l'évolution tout court d'ailleurs). "Notre découverte est un témoin supplémentaire du travail de l'os par l'homme de Néandertal et participe au mouvement de remise en question de cette vision linéaire de l'évolution du comportement humain" continue Luc Doyon.
" Excavé dans un excellent état de conservation, il provient d'un fémur gauche de renne adulte ayant un âge estimé entre 55 et 60 000 ans avant le présent. L'observation des traces présentes sur l'outil nous permet de retracer son parcours de vie. Néandertal ne chassait pas ses proies pour exploiter a priori l'os à des fins technologiques; la chasse visait d'abord l'approvisionnement en viande et en moelle, des ressources riches sur le plan énergétique. Ainsi, on observe sur l'outil des traces de dépeçage et des indices de fracturation de l'os pour l'extraction de la moelle. Des stigmates d'arrachement suggèrent l'utilisation du fragment osseux pour le réaffûtage des outils en pierre taillée. Finalement, des négatifs d'enlèvement et un important poli témoignent de la transformation et de l'utilisation de l'os en racloir. "
" La présence de cet outil dans un contexte où l'industrie en pierre taillée abonde laisse croire à un choix opportuniste et à une modification intentionnelle du support par les Néandertaliens, affirme Luc Doyon. On a longtemps pensé qu'avant Homo sapiens, les espèces n'avaient pas les capacités cognitives nécessaires pour la production de ce type outil. Cette découverte réduit l'écart pressenti entre les deux espèces et nous empêche donc d'affirmer la supériorité technique de l'une sur l'autre."
Luc Doyon, Geneviève Pothier Bouchard et Maurice Hardy ont publié, le 15 décembre 2014, l'article "Un outil en os à usages multiples dans un contexte moustérien", dans le Bulletin de la Société préhistorique française. M. Doyon et Mme Pothier Bouchard sont affectés au Département d'anthropologie de l'Université de Montréal. M. Hardy, qui a dirigé les fouilles archéologiques à la grotte du Bison, est affilié à l'Université Paris X - Nanterre.
La deuxième et troisième publications concernent aussi les Néandertaliens et est toute aussi explicite car il s'agit-là de preuves concernant leur utilisation probable pour des raisons liées au symbolisme - un caractère intelligent seulement porté par Homo Sapiens sapiens jusqu'à présent... et ce sont les très sérieux PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America) et PloS One ("Presumed Symbolic Use of Diurnal Raptors by Neanderthals" - Eugène Morin, Véronique Laroulandie) qui les publient.
Griffes de grands rapaces diurnes trouvées en France et en Italie dans des habitats du Paléolithique moyen. © Véronique Laroulandie
Ces archéologues de la préhistoire nous décrivent des serres de grands rapaces diurnes datant du Paléolithique moyen (il y a environ 300.000 à 40.000 ans) et sur lesquelles figure des traces de désarticulation laissées par les couteaux de pierre utilisés à cette époque. L'auteur de ces traces serait l'Homme de Néandertal, ce représentant du genre Homo qui se distingue de nous, « Homme anatomiquement moderne » Homo Sapiens sapiens, par l'association de plusieurs caractères morphologiques. Cette association de caractères physiques spécifiques a totalement disparue pour des raisons encore inconnues il y a environ 28.000 ans... laissant l'Homme moderne seul de son genre sur cette planète.
L'essentiel des matières usinées par l'homme de néandertal n'était en effet jusqu'à présent que de la pierre. De l'os (Renne) vient d'être ajouté au panel de ses capacités d'usinage. On sait aussi qu'il utilisait de la teinture, puisque des produits colorants ont été trouvés en maints endroits, mais on ne sait trop l'usage qui en était fait. Il semble que la plume était aussi une matière utilisée (et possiblement colorée) par les néandertaliens. Cette fois-ci, ce sont des serres, des griffes de rapaces qui font l'objet de cette publication. Les difficultés en ce qui concerne l'homme de néandertal sont de pouvoirs affirmer avec certitude qu'il faisait certaines choses de façon symbolique (et/ou artistique d'ailleurs), et non juste de façon fonctionnelle, utilitaire - la différence entre briser un os et des griffes pour en sucer la moelle et retirer une griffe pour l'attacher avec d'autres et s'en faire un collier par exemple...
Et il semble bien que les preuves s'accumulent pour que la deuxième possibilité fasse aussi partie des conceptions du néandertalien, tout comme celles de l'homme moderne...
Dans l'article " Late Neandertals and the intentional removal of feathers as evidenced from bird bone taphonomy at Fumane Cave 44 ky B.P., Italy", approuvé donc récemment aux PNAS, les auteurs Marco Peresania, Ivana Fioreb, Monica Galab, Matteo Romandinia, et Antonio Tagliacozzo nous racontent que les néandertaliens gravaient des signes sur des serres de rapaces...
Il s'agit par exemple de stries de découpes observées sur les os des ailes du faucon Kobez (Falco vespertinus), du gypaète barbu (Gypaetus barbatus) et du vautour moine (Aegypius monachus). Elles ont été étudiées sur le site de Fumane en Italie et publiées dans cet article des PNAS. Ces marques résulteraient du prélèvement des grandes plumes des rapaces, lesquelles pourraient avoir été investies d’une fonction symbolique. (YH : on a vu dans un autre article qu'on soupçonnait l'homme de néandertal de se vêtir avec des plumes).
Stone tool incisions on terminal phalanges of diurnal raptors from Middle Paleolithic occupations in France.
A) example of a fully fleshed golden eagle digit. B–G show cutmarked terminal phalanges from layer 52 at Combe-Grenal (B–C, golden eagle) and layers Jbase (D–E, white-tailed eagle) and I/J (F–G, white-tailed eagle) at Les Fieux. The black bars correspond to 1 cm. Philippe Jugie took the Combe-Grenal photographs, the others were taken by V.L. - doi:10.1371/journal.pone.0032856.g002
A) example of a fully fleshed golden eagle digit. B–G show cutmarked terminal phalanges from layer 52 at Combe-Grenal (B–C, golden eagle) and layers Jbase (D–E, white-tailed eagle) and I/J (F–G, white-tailed eagle) at Les Fieux. The black bars correspond to 1 cm. Philippe Jugie took the Combe-Grenal photographs, the others were taken by V.L. - doi:10.1371/journal.pone.0032856.g002
Citation : " Les fossiles sur lesquels se fondent les deux articles précédemment cités contribuent au débat et se placent eux aussi parmi les discrets indices qui s'accumulent sur de telles pratiques culturelles. Avec le temps, la kératine qui couvre les serres s'est enlevée, seule la partie osseuse des dernières phalanges acérées est aujourd'hui conservée. Mais l'analyse détaillée des surfaces osseuses et le recours à des référentiels expérimentaux révèlent parfois des traces susceptibles de nous renseigner sur les gestes pratiqués.
La plus ancienne de ces serres a été trouvée sur le site de Combe-Grenal, en Dordogne. Elle appartient à un aigle royal (Aquila chrysaetos) et provient d'une couche archéologique datée d'environ 90.000 ans. Elle porte une strie de désarticulation, ce qui indique qu'elle a été séparée du reste de la carcasse. Dans ce site qui compte pourtant plusieurs centaines d'ossements, cette serre est le seul vestige rapporté à ce puissant rapace diurne. (YH : un unique ornement possible donc car si les serres avaient été utilisées comme hameçons par exemple, nous aurions d'autres exemplaires - et nous ne savons d'ailleurs pas si les néandertaliens pèchaient dans les rivières puisqu'il ne semble pas y avoir de traces d'os de poissons dans toutes ces grottes...).
Entre 60.000 et 45.000 ans environ, d'autres gisements en France et en Italie livrent des découvertes comparables. Les grottes Mandrin dans la Drôme, celles de Rio Secco et Fumane ,localisées dans les Préalpes italiennes, ont chacune donné un seul reste d'aigle royal. A chaque fois, il s'agissait de griffes incisées.
Stries de découpe sur la serre d'aigle royal de Mandrin. © Véronique Laroulandie
Dans la grotte des Fieux située sur le Causse de Gramat dans le Lot, deux griffes de pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla) montrent également des traces de désarticulation. Ce gisement compte aussi plusieurs phalanges de pied rapportées au Vautour moine dont une pénultième portant des stries vraisemblablement produites lors de la séparation de la griffe du reste de la carcasse. D'autres observations, réalisées il y a plusieurs dizaines d'années par Cécile Mourer-Chauviré sur les sites de Pech de l'Azé I en Dordogne ou à la grotte de l'Hyène dans l'Yonne, trouvent aujourd'hui des éléments de comparaison qui permettent de mieux apprécier leur signification.
Une utilité encore mystérieuse
Les modes d'acquisition de ces éléments anatomiques (directement par la chasse d'un rapace ou par ramassage sur un cadavre ou un squelette) sont difficiles à dire pour les archéologues. En l'état des connaissances, ces deux alternatives restent possibles et non exclusives. Dans le contexte plus récent du Paléolithique supérieur et notamment durant le Magdalénien, le matériel aviaire, ici plus abondant, indique par exemple que la Chouette harfang (Bubo scandiacus) était chassée pour sa viande, ses griffes et vraisemblablement ses plumes.
Quoi qu'il en soit, au Paléolithique moyen la sélection de serres de grands rapaces diurnes par l'Homme de Néandertal ne fait aucun doute. Et la récurrence des faits plaide en faveur d'une pratique qui dépasse l'acte individuel pour se placer à l'échelle du groupe. Bien sûr il serait tentant d'imaginer que ces serres symbolisaient la force des prédateurs ailés, ce qui est largement avéré en ethnographie. Malheureusement, les archives du sol sont souvent moins bavardes que ne pourraient le souhaiter les préhistoriens.
La recherche se poursuit donc et les découvertes matérielles et méthodologiques à venir nous en apprendront sûrement autant sur les modes de vie et de pensée de nos ancêtres que sur notre manière de les appréhender. " (fin de citation)
Cet article (tiré des publications américaines des PNAS et PloS One) a été rédigé par Véronique Laroulandie (CNRS, laboratoire Pacea, université de Bordeaux) et Ludovic Slimak (CNRS, laboratoire Traces, université Toulouse-Jean Jaurès), en partenariat avec la LPO (Ligue de protection des oiseaux).
Autres articles sur les néandertaliens sur ce blog :
http://www.sciences-fictions-histoires.com/blog/archeologie/les-neandertaliens-etaient-des-marins.html
http://www.sciences-fictions-histoires.com/blog/archeologie/traces-de-l-homme-de-neandertal-aux-ameriques.html
http://www.sciences-fictions-histoires.com/blog/archeologie/des-analyses-genetiques-des-neandertaliens-et-des-denisoviens-revelent-une-autre-espece-inconnue.html
http://www.sciences-fictions-histoires.com/blog/archeologie/genetique-heidelbergensis-n-est-pas-l-ancetre-de-neandertal.html
http://www.sciences-fictions-histoires.com/blog/archeologie/neandertal-etait-un-marin-graveur-mais-erectus-aussi-bien-avant.html
Yves Herbo, Sciences, F, Histoires, 19-01-2015
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