mercredi 7 avril 2021

Levant : Des symboles gravés de 120 000 ans ?

Levant : Des symboles gravés de 120 000 ans ?


Levant osgrave

Une découverte récente par des archéologues de l'Université hébraïque et de l'Université de Haïfa aux côtés d'une équipe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France a mis au jour des preuves de ce qui pourrait être la première utilisation connue de symboles. Les symboles ont été trouvés sur un fragment d'os dans la région de Ramle dans le centre d'Israël et seraient vieux d'environ 120 000 ans.

Alors que les scientifiques et les historiens ont longtemps supposé que les gravures sur des pierres et des os ont été utilisées comme une forme de symbolisme datant dès le Paléolithique moyen (250 000-45 000 avant notre ère), les découvertes à l'appui de cette théorie sont extrêmement rares.

Remarquablement, le fragment est resté largement intact et les chercheurs ont pu détecter six gravures similaires sur un côté de l'os, ce qui les a amenés à croire qu'ils étaient en possession de quelque chose qui avait une signification symbolique ou spirituelle. La découverte, qui a été récemment publiée dans la revue scientifique Quaternary International, a été découverte avec un trésor d'outils en silex et d'ossements d'animaux trouvés sur un site lors de fouilles archéologiques.


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Photo des os. Celui qui est gravé se trouve en haut à droite. Crédit Dr. Yossi Zaidner


Le Dr Yossi Zaidner de l'Institut d'archéologie de l'Université hébraïque a déclaré que le site était probablement utilisé comme camp ou lieu de rencontre pour les chasseurs du Paléolithique qui abattaient ensuite les animaux qu'ils ont capturés à cet endroit. L'os identifié proviendrait d'un gros bétail sauvage éteint, une espèce très commune au Moyen-Orient à cette époque (l'auroch).

Grâce à l'imagerie tridimensionnelle, à des méthodes d'analyse microscopiques et à la reproduction expérimentale de gravures en laboratoire, l'équipe a pu identifier six gravures différentes allant de 38 à 42 millimètres de longueur. Le Dr Iris Groman-Yaroslavski de l'Université de Haïfa a expliqué: " Sur la base de notre analyse en laboratoire et de la découverte d'éléments microscopiques, nous avons pu supposer que les gens à l'époque préhistorique utilisaient un outil pointu fabriqué à partir de roche de silex pour faire les gravures."

Résumé de l'étude parue dans Quaternary International : Au Paléolithique moyen en Eurasie, la production de gravures délibérées et abstraites sur des matériaux en os ou en pierre est un phénomène rare. Il est maintenant largement admis que les humains anatomiquement modernes et les hominidés qui les ont précédés ont produit des gravures délibérées associées à un comportement symbolique. Dans le contexte du Paléolithique moyen levantin, seuls cinq exemples de gravures intentionnelles sont connus à ce jour. Dans cet article, nous présentons un fragment d'os aurochs qui porte six incisions sous-parallèles profondes, récupérées sur le site du Paléolithique moyen en plein air de Nesher Ramla en IsraëlL'objet, trouvé dans une accumulation anthropique d'artefacts dans l'unité III du site, était daté du stade 5 des isotopes marins (environ 120 ka). L'unité III est une couche stratigraphiquement bien définie qui se caractérise par des activités de taille intenses sur place avec prédominance de la méthode de réduction centripète Levallois et par une exploitation intense des aurochs et des tortuesCet article présente une étude multidisciplinaire de l'os et des incisions, y compris des analyses zooarchéologiques, macro et microscopiques, une analyse au microscope électronique à balayage et des réplications expérimentalesLes attributs macroscopiques et microscopiques des incisions, et les comparaisons avec le matériel expérimental excluent une origine taphonomique ou utilitaire des incisions. L'étude indique que les gravures ont très probablement été réalisées par un droitier en une seule séance de travail. La morphologie et les caractéristiques des incisions, en particulier la présence de polissage longitudinal et de stries dans l'une des incisions, suggèrent qu'elles ont été faites par un artefact en silex, probablement retouché. L'os gravé de l'unité III à Nesher Ramla est l'une des plus anciennes manifestations abstraites délibérées produites par les hominins du Paléolithique moyen et de l'âge de pierre moyen et la plus ancienne connue à ce jour au Levant. En tant que tel, il a des implications majeures pour notre compréhension de l'émergence et des premiers stades du développement du comportement symbolique humain."

Lire la suite ci-dessous :

Les auteurs de l'article soulignent que leur analyse montre très clairement que les gravures ont été définitivement faites intentionnellement par l'homme et ne pouvaient pas avoir été le résultat d'activités de boucherie animale ou de processus naturels au cours des millénaires. Ils ont souligné le fait que les rainures des gravures découvertes sont en forme de U clair et suffisamment larges et profondes pour qu'elles ne pourraient pas avoir été faites par autre chose que des humains désireux de sculpter des lignes dans l'os.

L'analyse a également permis de déterminer que le travail a été effectué par un artisan droitier en une seule séance de travail.


Levant osgrave

Photographie de l'os et des gravures. Crédit Marion Prévost


Mme Marion Prévost de l'Institut d'archéologie de l'Université hébraïque dit que chaque indication était qu'il y avait un message précis derrière ce qui était gravé dans l'os. " Nous rejetons toute hypothèse selon laquelle ces rainures étaient une sorte de griffonnage par inadvertance. Ce type d'illustration n'aurait pas vu autant d'attention aux détails."

Alors, quel était le message derrière les six lignes dans l'os ? Les auteurs écrivent: " Cette gravure est très probablement un exemple d'activité symbolique et est le plus ancien exemple connu de cette forme de message qui a été utilisée au Levant. Nous émettons l'hypothèse que le choix de cet os particulier était lié au statut de cet animal. dans cette communauté de chasseurs et est révélatrice du lien spirituel que les chasseurs avaient avec les animaux qu'ils tuaient. "

Le Dr Zaidner a déclaré: " Il est juste de dire que nous avons découvert l'une des plus anciennes gravures symboliques jamais trouvées sur terre - et certainement la plus ancienne du Levant. Cette découverte a des implications très importantes pour comprendre comment l'expression symbolique s'est développée chez l'homme. Dans le même temps, même s'il n'est toujours pas possible de déterminer la signification exacte de ces symboles, nous espérons que la poursuite des recherches dévoilera ces détails clés. "


Sources : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1040618221000021?via%3Dihub

https://phys.org/news/2021-02-prehistoric-bone-etchings-believed-oldest.html


Pour aller un peu plus loin, regardons quelques données (qui doivent être regroupées) sur le symbolisme ancien, en n'oubliant jamais qu'en cette matière, que si l'archéologie et les disciplines connexes pratiquées maintenant ont prouvé que ces gravures ont été intentionnelles, leurs interprétations au niveau objectifs et volonté (rites, communications, mémorisation, indications, arts, etc...) peuvent être nombreuses. 

Tout d'abord, question chronologie, et comme dit d'ailleurs par ces scientifiques dans leur publication, il est attesté que des gravures intentionnelles aient déjà été pratiquées par des hominidés dans un lointain passé, car on parle ici d'Homo Erectus, il y a environ 500 000 ans, sur un large coquillage (voir en bas de cet article ci-dessous) : 

https://www.sciences-faits-histoires.com/blog/archeologie/neandertal-etait-un-marin-graveur-mais-erectus-aussi-bien-avant.html

Il y a d'autres exemples en Afrique, mais il est question dans cette étude du paléolithique moyen, entre - 250 000 et - 45 000 ans, et en particulier du Levant et de probables intervenants, qui ont été tous contemporains à certaines époques : les Denisoviens, les Néandertaliens et nous-mêmes via les Cro-Magnons. Ces derniers étaient bien donc présents en Europe il y a - 45 000 ans au minimum d'après les dernières découvertes, mais présents au Moyen-Orient bien auparavant, où ils ont rencontré les Néandertaliens (ces derniers ayant aussi déjà rencontré les Denisoviens...). Question Néandertaliens, un site en Crimée, occupé uniquement par lui, a donné aussi cette gravure intentionnelle : https://phys.org/news/2018-05-engraved-crimean-stone-artifact-neanderthal.html

L'industrie lithique associée au site israélien de cette découverte est citée comme étant du Levallois. Le Levallois est une industrie lithique très ancienne qui remonte à environ - 400 000 ans et qui a perduré très longtemps et est retrouvable a des endroits très éloignés les uns des autres, géographiquement et chronologiquement parlant (à travers l'Europe, l'Asie occidentale et l'Afrique). C'est un peu montré dans la toute récente publication sur l'Afrique de l'Ouest, dont une industrie lithique est demeurée inchangée encore plus longtemps que supposé, puisqu'on y arrive à une fabrication locale jusqu'à il y a - 11 000 anshttps://www.mpg.de/16237767/pr-scerry-joung-middle-stone-age-0111-wisy-9347732-x?c=2249

Et il s'agit ici de la plus ancienne industrie lithique associée à Homo Sapiens (Homme moderne/Cro-Magnon), avant qu'il utilise, ailleurs donc, la Levallois, probablement apprise des Néandertaliens lors de leur rencontre au Moyen-Orient, du côté de l'actuelle Arabie Saoudite. En effet, l'industrie lithique Levallois ici citée est majoritairement attribuée à la culture du Moustérien, Néandertalienne donc. L'une des particularité du Levant et de cette région de rencontre entre les deux "cousins" (puisque les deux espèces se sont séparées d'un ancêtre commun il y a environ 800 000 ans d'après la génétique), est que l'industrie Levallois y a été utilisée tant par les Néandertaliens que par les premiers hommes modernes. Au passage, les Denisoviens sembleraient s'être séparés également de ce même ancêtre commun, mais plus tôt que néandertalien et homo sapiens, avec une plus grande ancienneté donc mais une même "lignée" compatible, puisqu'il y a eu hybridation avec Homo Sapiens et Néandertalien également. On pourrait aussi supposer que les plus anciens, Denisoviens, auraient pu apporter le Levallois aux Néandertaliens, mais nous n'en savons rien, tout comme pour les apports entre néandertaliens et homo sapiens d'ailleurs. Mais il serait étonnant que ces rapports sur des millénaires n'aient pas inclus les connaissances et diverses pratiques, dans les deux sens.

En ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest, le fait que l'endroit ait été moins perturbé que le reste de l'Afrique, climatiquement parlant, et qu'elle ait été en quelque sorte une très grande région isolée géographiquement parlant, comme expliqué par les scientifiques dans l'article cité en lien plus haut, pourrait-il faire en sorte que cette région soit le réel berceau de l'homme moderne (avec tout en haut les plus anciens hommes modernes (archaïques) découverts au Maroc) ? 

En ce qui concerne plus précisément le symbolisme, ou cette forme de communication, que certains chercheurs approchent de l'écriture ou de ses balbutiements, les données associant les tatouages préhistoriques (qui apparaissent très tôt - voir la momie de Ozie, découvert congelé il y a quelques années), les pétroglyphes et peintures rupestres et ces symboles gravés dans la pierre sur de longues périodes, une possibilité serait que ce seraient toutes ces formes de communications mises ensembles qui aurait permis la transmission de la mémoire de l'humanité, y compris de certains de ses ancêtres, sur des milliers d'années, et pas seulement une transmission orale peu fiable sur la longueur... et ceci partout où l'homme est allé. Seules les comparaisons par datations quand c'est possible (charbon de bois, etc), par apparences via une banque de données mondiale et lieux, contextes quand disponible, légendes associées connues, peuvent aider à éclairer un jour le mystère de ces signes anciens...

Je reviendrai sur ce sujet passionnant, un sujet déjà abordé avec les écritures anciennes non décryptées.


Yves Herbo et Traductions, Sciences-Faits-Histoires, 04-02-2021, 04-2021

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