Les Tourbillons Océaniques
Des Trous Noirs dans l'Océan
Les
scientifiques savaient depuis longtemps que d'immenses tourbillons se
forment dans les océans. Or, pour mieux les repérer, un physicien les a
mis en équation. Surprise : les équations sont les mêmes que celles
décrivant un trou noir cosmique.
Ils
sont 10 mille. Dix mille monstres à dériver à la surface des océans.
Dix mille gouffres engendrés par les courants marins qui voyagent durant
plusieurs mois entre les continents. Pour autant, rien à voir avec les
fantasmatiques maelströms capables d’engloutir bateaux et baleines (voir
encadré) : un navire les traverse sans même que son équipage s’en rende
compte, de même que la plupart des organismes marins - l’eau n'y tourne
qu'à raison de quelques centaines de mètres par heure. Mais, pour le
plancton primaire qui vit dedans, pour les gouttes d’eau qui les
composent, pour le sel qui y est dissous, pour la chaleur qui y est
emmagasinée, ces tourbillons qui peuvent atteindre une centaine de
kilomètres de diamètre et dont les racines plongent jusqu’à 1000 mètres
sous la surface, forment de véritables trous noirs.
Vous
avez bien lu : l’océan est peuplé de trous noirs, ces astres
fantastiques imaginés dans le cadre de la relativité générale, et
desquels aucun grain de matière ou de lumière, une fois pénétré dans
leur giron, ne peut s’échapper. Inimaginable ? C’est pourtant la
conclusion des très sérieux calculs que vient de mener George Haller, professeur de dynamique non linéaire à l’Institut fédéral suisse de technologie, à Zurich.
EDGAR POE A-T-IL DÉCRIT UN TROU NOIR AVANT L'HEURE ?
"Le
bord du tourbillon était marqué par une large ceinture d'écume
lumineuse ; mais pas une parcelle ne glissait dans la gueule du terrible
entonnoir"... Ainsi Edgar Allan Poe décrit-il la
frontière du monstrueux tourbillon qu'il met en scène dans sa nouvelle
Descente dans le maelström. Certes, "ce monstre marin" avalant bateaux
et matelots n'existe que dans l'imaginaire de l'auteur fantastique. Et
pourtant, George Haller lui-même relève la pertinence
scientifique de la description qu'en donne Poe, presque une
préfiguration de l'analogie qu'il a mis en évidence entre tourbillons
océaniques et trous noirs. "Cette ceinture d'écume lumineuse dont parle Poe n'est outre que cette ceinture d'eau cohérente que nous avons décrite mathématiquement
dans notre publication", explique le théoricien. Si l'analogie
mathématique avec le trou noir s'arrête là, la vision de Poe n'en reste
pas moins troublante lorsqu'il écrit que ses personnages "imaginent
qu'au milieu du canal du Maelström est un abîme qui traverse le globe et
aboutit dans quelque région très éloignée". Comme si l'écrivain
avait entrevu au fond des mers les monstres cosmologiques que les
scientifiques découvriront un siècle plus tard.
RÔLE CAPITAL SUR LE CLIMAT
Ces
tourbillons océaniques tournant sur eux-mêmes sans altération ne sont
rien de moins que les alter ego terrestres de ces Léviathan cosmiques
dévoreurs d’étoiles : une fois aspirés dedans, aucune goutte n’a la moindre chance d’entrer en contact avec le reste de l’océan, le long des milliers de kilomètres parcourus. Autrement dit, la frontière de ces tourbillons dessine un véritable “ailleurs”, un espace totalement coupé du reste des mers, une île littéralement en dehors de notre monde...
Ces
étranges structures aquatiques sont de vieilles connaissances des
océanographes, qui savent l’importance des gigantesques quantités de
chaleur, de sel et de biomasse primaire qu’elles transportent d’un bout à
l’autre des mers. C’est bien simple, comme le résume Patrick Marchesiello, chercheur au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), à Toulouse, "sans ces tourbillons, il est impossible d'expliquer la dynamique des océans ou le climat de la Terre".
C’est
en cherchant à mettre au point une méthode permettant de repérer plus
rigoureusement ces tourbillons sur les images satellites que George Haller
a fait son étonnante découverte. “Pour les détecter, la méthode
classique est l’altimétrie, qui permet de mettre en évidence des boucles
le long desquelles l’altitude de la surface de l’océan est constante,
et donc de déduire la présence d’un tourbillon, détaille le théoricien
américain. Or, dans une étude précédente, nous avons montré que cette
vision est erronée : dans de nombreux cas, les structures
hydrodynamiques correspondantes n’ont pas de cohérence et se délitent
donc rapidement”. Comptabiliser ainsi ces tourbillons qui, parfois, n’en
sont pas, peut in fine conduire à surestimer les transferts océaniques
de chaleur ou de sel dus aux véritables tourbillons cohérents et stables
dans le temps... et donc à mal évaluer l’évolution globale des océans
et du climat.
"UN COMPORTEMENT UNIQUE"
D’où
l’idée du physicien américain d’imaginer une méthode mathématique
susceptible de les repérer à coup sûr. " Basiquement, l’idée était de
résoudre des équations pour caractériser précisément la frontière d’un
tourbillon en tant que boucle fermée et stationnaire dans le temps de
l’écoulement", précise le scientifique. Or, une fois griffonnés sur le
papier, les signes mathématiques étaient on ne peut plus clairs : les
orbites décrites par le fluide à la frontière d’un tourbillon océanique
font apparaître des équations parfaitement identiques à celles qui
décrivent la structure de l’espace-temps aux abords d’un trou noir.
“A dire vrai, nous ne nous attendions absolument pas à ce que des
outils développés pour la relativité générale jouent ici le moindre
rôle, avoue le chercheur. C'était tout à fait nouveau et surprenant”.
Absolument
inattendu, mais néanmoins parfaitement valide. “Le raisonnement semble
impeccable. C’est mathématiquement très précis et parfaitement
identifié”, confirme Renaud Parentani, au Laboratoire
de physique théorique, à Orsay, et spécialiste des trous noirs.
Précisément, tout comme leurs alter ego cosmiques, les tourbillons
océaniques possèderaient ce que les astrophysiciens appellent une sphère de photons.
Soit une surface fictive entourant l’astre, et susceptible de piéger
indéfiniment des particules de lumières (les photons) sur des orbites
circulaires. Un endroit déroutant où, parce que la lumière se boucle sur
elle-même, il est théoriquement possible d’apercevoir son dos en
regardant droit devant soi ! Pour nos trous noirs océaniques, cela
correspond à des lignes singulières du champ de déformation du fluide où
celui-ci tourne et se propage sans que sa cohérence géométrique ne soit
altérée, conférant à ces structures fluides une incroyable stabilité.
Un comportement absolument unique dans un écoulement par ailleurs
turbulent”, explique George Haller. Qui précise : "La forme très aplatie
des tourbillons océaniques autorise à les considérer, du moins en
première approximation, tels des objets bidimensionnels. Cette
sphère de photons joue alors le même rôle que l’horizon d’un trou noir,
cette frontière au-delà de laquelle on ne peut plus revenir en arrière.
Ainsi, un élément fluide qui s’y trouve ne peut plus en sortir,
contraignant le fluide situé à l’intérieur du tourbillon d'y rester
piégé durablement". Propriété faisant bien de l’intérieur d’un
trou noir océanique ce même "non-lieu" qu’est l’intérieur de leur jumeau
cosmique : un coin d’espace comme arraché à l'espace. C'est à ce titre que l’analogie trouve sa profonde pertinence. Ce
qui est d’autant plus inattendu dans un océan où les masses d’eau se
meuvent en se mélangeant et s’interpénétrant à toutes les échelles
spatiales, ce qui semble justement garantir qu’aucune partie ne puisse
jamais rester longtemps isolée des autres. (...) "
http://planete.gaia.free.fr/
Yves Herbo-Sciences-F-H-02-2014
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