Egyptologie : une momification pré-dynastique
Culture Badari - Egypte préhistorique - Bobak Ha'Eri − CC-BY-2.5
Avoir
la volonté et la capacité de revenir "gratter" ce qui semble déjà connu
et postulé, acquis, c'est l'une des vertus que j’apprécie le plus chez
les meilleurs archéologues et les meilleurs anthropologues. C'est
souvent ainsi que des découvertes se font, sur de l'acquis et du "figé",
du non-remis en cause depuis trop longtemps. Souvent parce que la chose
"figée" et "certaine" est associée à un grand nom, à une sommité
scientifique, qui avait pourtant comme tout le monde le droit de se
tromper ou de se fier aux acquis de son époque...
C'est
un peu le cas en ce qui concerne l'Egyptologie, tant les choses si
"certaines" depuis la fin du 19ème siècle et les débuts du 20ème se
trouvent mises à défaut par des études plus poussées, avec des moyens
modernes, mais aussi de nouvelles découvertes qui changent la mise...
Cet
article vous propose de revenir tout d'abord sur la préhistoire de
l'Egypte et les quelques civilisations découvertes ayant devancées celle
que nous connaissons tous à travers nos livres scolaires et musées,
l'Egypte des dynasties pharaoniques...
Car,
si les premiers pharaons ont probablement été couronnés vers le 3ème
millénaires avant JC, on sait maintenant (mais Petrie avait déjà indiqué
les traces d'une présence dès l'Holocène dans la Vallée du Nil, à la
fin du 19ème siècle) qu'une forte présence humaine existait déjà 10.000 ans avant JC, sur les mêmes lieux.
On ne sait pas grand chose de ce qu'il s'est passé entre cette période
encore humide des débuts et cet assèchement total vers 4000 avant JC,
hormis le fait que le Nil a plusieurs fois changé son lit, creusant ou
réhaussant alternativement sa vallée et les sites autours...
On
sait qu'il a existé un ou plusieurs peuples, tribus, qui ont, et c'est
une première surprise, fait d'incessantes navettes entre les régions de
savanes (devenues des déserts depuis) et les régions humides du Nil,
comme des guides de troupeaux assujettis à livrer pendant des
millénaires le lait, fromages et denrées liées à leurs activités
pastorales, à des endroits précis probablement à l'époque, mais
diversifiés. C'était donc déjà une forme d'organisation et ces gens ont
eu une "mission", un "job" inchangé et permanent à effectuer pendant des
siècles. Puis, après 5000 ans de ce régime simple d'élevage pastoral,
on découvre les premières implantations sédentaires et fixes : des
éleveurs ont arrêté de faire la navette et se sont mis à, en plus de
l'élevage, cultiver des plantes, sur place. C'est principalement aux
endroits les plus humides de l'époque, au Delta du Nil et au Fayoum
que cela se produit. On rejoint ici rapidement le néolithique déjà
développé ailleurs (Mésopotamie) et d'ailleurs, l'apport de l'Orient est
visible immédiatement. Alors qu'on élevait principalement le bœuf
africain domestiqué jusqu'à présent (dès 7000 ans avant JC probablement,
voir bien avant dans le Sahara plus profond - voir les dessins
rupestres algériens et libyens, etc), chèvres, moutons, porcs et orge,
blé et lin question plantes font leur apparition dans ces régions
humides, tous originaires de l'orient. Il est indéniable qu'un contact
définitif entre l'afrique et l'orient s'est produit à cette époque,
faisant de l'Egypte la première région ayant une double appartenance.
D'après les estimations actuelles, c'est vers 4200 avant JC que tout est déjà en place
pour pouvoir produire ce qui deviendra l'une des premières et
principales civilisations du monde, moins de mille ans plus tard...
Et
ce n'est probablement pas pour rien que la toute première culture,
civilisation organisée et populations sociales se trouvent dans ces
régions du nord égyptien et sur la rive orientale du Nil. A l'Est donc,
d'où sont probablement venus les apports et connaissances de
Mésopotamie, via l'isthme de Suez et les côtes syro-palestiniennes...
C'est là que la civilisation des Badari s'implante, entre les villes modernes d'Assiout et de Tahta sur une trentaine de kilomètres. On y a découvert des nécropoles dans le massif calcaire. Les morts sont enterrés sur le côté, en position « fœtale », la tête généralement orientée au sud.
Les individus reposent dans de simples fosses, souvent enveloppés de
nattes. Les objets qui les accompagnent révèlent à priori une société complexe et inégalitaire, capable de produire des biens de luxe. À côté de belles poteries rouges à bord noir et à la surface ondulée, on note des objets en ivoire de très grande précision : des figurines généralement féminines, des cuillers, peignes, épingles à cheveux. Des palettes à fard, réalisées dans une belle pierre vert-noir appelée « grauwacke », et dont les gisements se trouvent dans le wadi Hammamat, font leur apparition sous des formes simples de losanges plus ou moins allongés, prouvant le soin apporté au maquillage. Le peu qu'on connaisse des habitats (rien n'a subsisté quasiment) atteste un mode de subsistance mixte, où, à côté des espèces domestiques d'élevage et d'agriculture, l'économie de ponction – chasse, pêche, cueillette – joue encore un rôle important. Les relations avec leurs voisins de Basse-Égypte sont attestées à travers certains groupes d'outillage lithique
– les pointes de flèches à base concave – et peut-être dans la
technique particulière de polir les poteries. Ces populations
connaissaient bien les déserts et particulièrement le désert oriental, entre Nil et mer Rouge, qu'elles traversaient en quête de coquillages marins et dont elles surent très vite exploiter les richesses pétrographiques – grauwacke, stéatite, malachite.
On peut également noter ici la coïncidence - si c'en est une, de leur
apparition sur les rives du Nil vers -4000 avant JC donc, au même moment
où se serait produit une catastrophe au niveau de la Mer Rouge selon
certains auteurs, une rupture de barrage naturel entraînant une immense
inondation ("déluge" selon certains) et engloutissement de régions
entières autour de la Mer Rouge...
civilisation des Badari
400
ans plus tard, cette culture "orientale" s'étend plus au sud et, vers
-3800 avant JC, on découvre (avec l'archéologue Petrie donc) la première
civilisation de Nagada, vers Louxor. Les
chasseurs-cueilleurs-agriculteurs sont devenus aussi des guerriers. Cela
se voit dans les encore rares dessins et représentations humaines : comme des indiens des amériques, les seuls personnages dessinés sont manifestement des guerriers vainqueurs : des personnages à la tête parée de plumes, les bras levés en signe de victoire, dominent des sujets plus petits,
enchaînés et aux bras entravés (vase de Bruxelles et d'Abydos). C'est
considéré comme une image "exagérée" du guerrier victorieux, mais
certains archéologues montrent aussi des squelettes et des tombes
d'hommes de haute stature, pas des géants, mais ce qui les feraient
considérer comme tels, même de nos jours, par une population
méditerranéenne !...
A ce titre, il est difficile de trancher aussi facilement sur une
simple représentation artistique et une possible réalité ethnique :
l'apport de populations de guerriers venus d'ailleurs, du nord ou de
l'est plus profond...
Et
c'est là que la civilisation de Nagada, avec ses guerriers (de grandes
statures ou non !), va faire la différence localement d'avec toutes les
autres : les cultures de Basse-Egypte ont continué pendant un certain
temps leur rôle de pasteurs-agriculteurs "classiques", sans trop
accorder d'importances aux rites et cultes des morts par exemple - pas
d'offrandes ou d'objets dans les tombes. Par contre, ils développent
leurs techniques grâce aux apports et leurs relations avec le
Proche-Orient voisin et sont les premiers à bénéficier du cuivre par
exemple. Mais les princes nagadiens se trouvent à présent trop à
l'étroit dans les cinq cents kilomètres de vallée du Nil qui séparent
Assiout d'Éléphantine, aussi, les communautés agro-pastorales de
Basse-Égypte vont disparaître, absorbées plus ou moins radicalement par
le groupe dominant. On ne sait pas trop comment se processus s'est
déroulé à l'époque. Plutôt qu'une guerre de conquête pure et dure, on
pense à des formes d'assimilation plus variées : alliances, mariages,
sans exclure les coups de force et trahisons, notamment avec certains
groupes "durs" et dissidents du Delta, comme en témoigneront les
documents de la fin de la période – les palettes ornées...
Cette
expansion nagadienne se fera en final dans les deux sens, au nord comme
au sud, en se déployant jusqu'aux marges de la seconde cataracte, en
Nubie, là où se développeront des communautés particulières de Nubiens
« égyptianisés », le fameux Groupe A. L'élite
accentue considérablement le processus de hiérarchisation en affirmant
alors sa différence par la possession d'objets luxueux. C'est
l'apogée des grands couteaux, dont la confection exprime l'un des
sommets mondiaux de la taille du silex, les princes commandent des
bijoux en cuivre et en or, des ivoires travaillés, des pierres
précieuses parfois venues de très loin, comme le lapis lazuli originaire
d'Afghanistan, des palettes à fard zoomorphes et des belles poteries à
fond blanc, décorées de motifs peints à l'ocre : spirales, vaguelettes,
lignes ondulées, mais également des scènes complexes dominées par le thème de la navigation.
Le Nil n'est pas seulement la voie de communication unique, celle qui
relie le Delta au cœur africain, c'est aussi le lien symbolique qui unit
deux mondes symétriques : celui des vivants et celui des morts. La
tombe des Grands de Nagada, en ces temps d'expansion et de domination,
reflète peu à peu la maison des vivants : elle s'édifie, se complexifie,
alliant l'utilisation de la brique crue et de la pierre taillée, à la
multiplication des chambres et des magasins, anti-chambres.
Progressivement, durant la phase finale du Prédynastique, la phase
Nagada III, elle redessinera pour l'éternité l'image des palais royaux,
entourés de murs à redans et de tombes subsidiaires destinées à
l'entourage du roi.
Très récemment,
il aurait été redécouvert (et malheureusement abîmés par des écritures
modernes de touristes peu respectueux) la représentation d'un des tout
premiers pharaons égyptiens, cet ensemble de gravures rupestres étant
nommé "la procession d'Horus" : la première représentation d'un pharaon, identifiée récemment sur une gravure rupestre (explication et photos).
C'est lors de cette dernière phase du Nagadien, entre 3300 et 2900 avant JC environ, qu'apparaît le processus de codification.
Plusieurs artefacts disparaissent, comme la poterie décorée, les beaux
couteaux de silex, d'autres évoluent, comme les palettes à fard devenues
supports d'iconographie, tandis que des formes nouvelles apparaissent,
comme certains vases que l'on retrouvera tout au long de l'Ancien
Empire. Mais la grande nouveauté, c'est le début de l'écriture. Ainsi, dans la tombe U-j d'Abydos, des poteries portaient peints à l'ocre rouge des animaux associés à des motifs végétaux, interprétés comme les premiers signes de l'écriture hiéroglyphique, et lus comme la désignation du domaine (le végétal) de rois (les animaux) qui auraient régné durant une « dynastie 0 », soit entre 3300 et 3100 avant notre ère. Dès cette époque, un signe rectangulaire typique, appelé serekh, considéré comme la représentation d'une façade de palais, apparaît incisé sur la panse des poteries, parfois surmonté d'un faucon et à l'intérieur duquel prendra place, sous la Première Dynastie, le nom du Pharaon. Ainsi l'écriture apparaît-elle en relation avec la gestion des échanges commerciaux, la volonté de garantir l'intégrité et la qualité du produit, volonté émanant d'une élite de plus en plus puissante, qui, très rapidement, saura reconnaître ce « pouvoir » de l'écrit et se l'attribuera en se désignant : avant tout énoncé plus complexe, le mot renvoie au nom royal.
Mais
le plus étonnant maintenant, c'est que le processus de momification
pourrait bien avoir été inventé (ou amené avec elle de l'orient !) par
la toute première culture implantée solidement en Egypte, les Badari
cités plus haut !. " Jusqu'à très récemment, on pensait
que les égyptiens avaient mis beaucoup de temps pour arriver à ce
processus très complexe : le scénario privilégié était le suivant.
Inhumant leurs morts dans de simples fosses dans le désert, les
Égyptiens auraient d'abord constaté l'étonnante capacité de ce dernier à
préserver les cadavres de la putréfaction. Puis l'Égypte serait devenue
peu à peu un État centralisé et organisé, mais ce n'est que vers 2500
ans av. J.-C. que ses savants, sans doute, auraient constaté que
différentes substances, comme les résines, permettaient de mieux
préserver les cadavres. C'est de cette manière que peu à peu, l'art de
la momification aurait pris son envol, devenant de plus en plus
sophistiquée au fil du temps, avec son apogée entre 2000 et 1000 avant
JC et atteignant toutes les couches de population.
Culture Badari
Dans les années 1990-2000, des découvertes relancent le débat. Une
équipe internationale met au jour un bien étrange cimetière, à
Hiérakonpolis dans le sud de l'Égypte, datant d'environ 3500 ans av.
J.-C. Leur attention est d'abord accaparée par l'abondance de victimes d'exécution ou de sacrifices (tués à la massue, décapités ou égorgés, scalpés, …) Mais ils font une autre découverte, en apparence plus modeste. Sur certains défunts, les fossoyeurs ont appliqué des linges imprégnés de quelque chose qui ressemble à de la résine.
Puis ils les ont en partie emmaillotés dans du lin, et déposés sur des
nattes. À l'inverse des momies usuelles, ils ne l'ont fait que sur certaines parties du corps − la tête ou les mains.
Il y a même une jeune défunte, sans doute d'un haut statut social, dont
les fossoyeurs ont traité de la sorte un organe, avant de le remettre
en place.
Mais les chercheurs se rappelèrent alors ce qu'ils avaient lu dans un vieux livre des années 1920. Deux archéologues britanniques y relataient des emmaillotements similaires de têtes et de mains dans un autre cimetière. Par chance, ils avaient envoyé à l'époque des échantillons de ces tissus dans un musée anglais. Et au fil du temps, plusieurs égyptologues y avaient noté la présence d'une substance un peu cireuse… En outre, les textiles proviennent de cimetières a priori encore plus anciens que celui d'Hiérakonpolis. Bref, des analyses s'imposent.
Celles-ci révèlent que la substance contient bien de la résine de conifère. Et d'autres ingrédients : principalement des graisses, animales ou végétale, et un petit peu de sucre (ou de la gomme plantes), de cire végétale et de bitume. « Les résultats sont convaincants » explique Alain Tchapla, de l'université Paris sud. Les échantillons les plus anciens, indiquent les datations, remontent à près de 4200 ans av. J.-C. La plus ancienne preuve de momification. Et à une époque franchement inattendue pour les chercheurs.
En outre la recette est étonnamment similaire, écrivent les chercheurs, à celles des « embaumeurs égyptiens quand ceux-ci étaient au sommet de leur art, 2500 à 3000 ans plus tard ». De là à conclure que les bases de l'embaumement étaient déjà en place à cette date et ont perduré, il n'y a qu'un pas qu'Alain Tchapla enjoint de ne pas franchir. « Parfois, pour certaines momies, les analyses ne détectent rien d'autre que des corps gras. Il y avait visiblement une certaine diversité des pratiques de momification » (voir aussi ici, en anglais). Les chercheurs sont encore loin de savoir comment ces dernières ont évolué au cours du temps. D'abord en raison de la difficulté de réunir un échantillon vraiment représentatif de momies, notamment pour les hautes classes sociales (pharaons, grands prêtres, etc.) Ensuite parce que beaucoup
de momies ont reçu divers traitements pendant leur conservation dans
les musées, qui n'ont pas toujours été notés, ce qui peut brouiller les
analyses.
Reste qu'il s'agit bien de prémices de la momification. Une raison de plus de s'intéresser aux occupants de ces cimetières, des
populations méconnues que les égyptologues appellent la culture Badari.
C'est en 1922 qu'un des deux archéologues britanniques cités plus haut,
Guy Brunton, la découvre. "
Autre sujet d'étonnement :
Tabac et cocaïne : En 1976, l'État égyptien confie la momie de Ramsès II
attaquée par les champignons, aux scientifiques français. La momie est
reçue avec les honneurs dus à un chef d'état par le président d'alors,
Valéry Giscard d'Estaing. Chargée de l'étudier, une botaniste du Muséum
national d'histoire naturelle est obligée de se rendre à l'évidence : elle trouve dans l'abdomen du pharaon des minuscules fragments de feuille qui ressemblent comme deux gouttes d'eau à du tabac. Quoi ? Ce dernier n'aurait pas été ramené d'Amérique après la conquête espagnole ? Faudrait-il imaginer d'extravagantes connexions entre l'Égypte ancienne et l'Amérique ? Le tollé est général. Mais la chercheuse française ne se démonte pas et fait analyser ses échantillons par un autre laboratoire, qui confirment ses conclusions. Le mystère aujourd'hui, reste entier. Il existait peut-être en Afrique à l'époque, une plante cousine du tabac et qui aurait disparu aujourd'hui. Les embaumeurs de Ramsès l'aurait utilisé, peut-être comme insecticide.
Mais la momie ayant connu de multiples déménagements au cours des
siècles, des contaminations à l'époque moderne ne sont pas totalement
exclues, quoique assez improbables.
Une polémique similaire se répète en 1992, quand des analyses détectent des traces de cocaïne, de nicotine et de haschisch sur des momies d'un musée de Munich. Du haschisch, qui vient du cannabis, plante eurasiatique, passe encore… Mais la cocaïne est issue des feuilles de coca, que personne n'a vu pousser hors d'Amérique du sud avant le XXe siècle. Mais là encore, le travail des scientifiques est mis hors de cause.
Ce qui n'est pas le cas de l'usage de drogue par ceux qui ont approché
ou manipulé les momies, des archéologues au personnel du musée…
http://archeo.blog.lemonde.fr/2014/10/04/les-premieres-momies-egyptiennes/
https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_origines_de_legypte.asp
http://www.crystalinks.com/egypthistory.html
Yves Herbo, Sciences, F, Histoires, 02-12-2014
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