L'Egypte préhistorique dévoilée petit à petit
Une
équipe interdisciplinaire de chercheurs belges travaillant à
l'Université de Yale (New Haven, Etats-Unis) avait découvert les plus
anciens pétroglyphes en Egypte et l'art rupestre la plus ancienne connue
à ce jour dans l'ensemble de l'Afrique du Nord.
En
datant les sédiments déposés par le vent qui couvre l'art rupestre en
utilisant la technique de luminescence stimulée optiquement (OSL),
l'équipe a été en mesure de démontrer que les pétroglyphes sont âgés d'au moins 15 000 ans. Les résultats de la découverte ont été publiés dans le numéro de Décembre de Antiquity (Vol 85 numéro 330, pp 1184-1193).
Belgian
archaeologist Wouter Claes poses with a panel with wild bovids (Bos
primigenius or aurochs) at the Qurta II site. (© RMAH, Brussels)
Une découverte oubliée
Le
site des roches d'art rupestre est près du village moderne de Qurta, à
environ 40km au sud de la ville de la Haute-Egypte d'Edfou. D'abord vus
par les archéologues canadiens dans les années 1960, ils ont ensuite été relocalisés et sortis de l'oubli par la mission belge en 2005. La redécouverte a été annoncée dans la Galerie des projets sur l'Antiquité en 2007.
L'art
rupestre à Qurta se caractérise essentiellement par des images
naturalistes d'aurochs et d'autres animaux sauvages (et élevés ?) d'un
style martelé et gravé. Sur la base de leurs caractéristiques
intrinsèques (objet, la technique et le style), leur patine et le degré
d'altération, ainsi que le contexte archéologique et géomorphologique, ces
pétroglyphes ont été attribués à la fin du Pléistocène, en particulier à
la fin du paléolithique (environ 23 000 à 11 000 ans). Cette
interprétation a rencontré peu de critiques de la communauté
archéologique, mais la preuve sous la forme d'une base scientifique
datant une preuve directe ou indirecte faisait jusqu'à présent défaut.
American archaeologist Elyssa Figari recording rock art at the Qurta I site. The panel contains 33 images, including 25 wild bovids and a stylized human figure (© RMAH, Brussels)
En 2008, une équipe dirigée par le Dr Dirk Huyge
des Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles (Belgique), a
découvert plusieurs parois de roche d'art rupestre sur l'un des sites de
Qurta. Les dépôts couvrant l'art rupestre, en partie composés de
sédiments éoliens, ont été datés au laboratoire de minéralogie et de
pétrologie (Luminescence Research Group) de l'Université de Gand
(Belgique) en utilisant une datation à la luminescence stimulée
optiquement (OSL). La datation OSL peut déterminer le temps qui
s'est écoulé depuis que les grains de sédiments ont enfoui les gravures
et donc quand ces dernières ont été exposées à la lumière du soleil la dernière fois.
L'art rupestre de Qurta est donc plus ou moins contemporain de l'art européen de la dernière période glaciaire, comme il est vu dans ces sites mondialement connus comme les grottes de Lascaux et d'Altamira.
En
utilisant les grains de minéraux constitutifs du sédiment lui-même,
cela offre un moyen direct pour établir le temps de dépôt des sédiments
et de leur accumulation. Il en est résulté un âge minimum d'environ 15 000 années,
fournissant la première preuve solide pour de l'art rupestre à Qurta du
Pléistocène et apporte l'activité graphique la plus ancienne jamais
enregistrée en Egypte et l'ensemble de l'Afrique du Nord.
Detail
of a rock art panel at the Qurta II site, showing two drawings of wild
bovids (Bos primigenius or aurochs) with forward pointing horns. The
double belly line of the right specimen is typical of the Qurta II
bovids (© RMAH, Brussels)
Une tradition artistique
La
découverte de l'art rupestre sophistiqué de "l'Age de Glace" en Afrique
du Nord est certainement nouveau, mais pas tout à fait inattendu, comme
d'ailleurs des découvertes de l'art africain sur la masse continentale
commencent à être mieux connus depuis un certain temps. Déjà en 1969, des parois de pierre peintes avec des motifs d'animaux, datées d'il y a environ 26 000 années ont été découvertes dans une grotte en Namibie. Plus récemment, en 1999 et 2000, des gravures géométriques complexes sur des morceaux d'ocre ont été mis en lumière dans un site côtier sud-africain qui remontent à pas moins de 75 000 à 100 000 ans.
Mais comment peut-on expliquer que l'art rupestre de Qurta, exécuté en
Egypte il y a au moins 15 000 ans, soit stylistiquement très similaire à
ce que nous discernons dans l'Age de Glace en Europe à la même époque ? Peut-on parler d'influence directe ou d'échange culturel sur une aussi longue distance ? Cela n'est pas aussi improbable que cela puisse paraître. Des
découvertes de l'art rupestre du Pléistocène dans le sud de l'Italie et
de la Sicile portent des analogies avec l'art rupestre égyptien. Dans le nord de la Libye, près de la côte, un site de grotte est connu avec des images naturalistes similaires d'aurochs. Compte tenu du fait que le
niveau de la mer Méditerranée à l'époque de la dernière glaciation
était d'au moins 100 m inférieur à ce qu'il est aujourd'hui, il ne peut
être exclu que les gens du Paléolithique ont établi un échange
intercontinental de concepts iconographiques et symboliques.
Source : communiqué de presse Antiquity - L'article complet dans le magazine Antiquity (Vol 85 Numéro 330, pp 1184-1193)
la préhistoire en Egypte : les gravures de Qurta datées de 15 000 ans ! (extrait) :
"
Dans ce dossier, nous allons tenter de cerner quelques étapes de cette
préhistoire, notamment en se focalisant sur les sites de El-Hosh et Qurta en Haute Égypte. Nous avons posé des questions au directeur des fouilles belges de ces hauts lieux préhistoriques, Dirk Huyge.
Nous
entamons, par ce dossier, une longue exploration de ces périodes
jusqu’à l’avènement de l’Ancien Empire avec les débuts de la IIIe
dynastie. "
Par François Tonic
" Situé à quelques dizaines de kilomètres au sud d’Edfou en Haute Égypte, le site d’El-Hosh
recèle un trésor préhistorique qu’une petite poignée de touristes a le
privilège de voir. Le site est mieux connu sous l’appellation de «
chasseurs de poissons d’El-Hosh ». Mais entre le Wadi el-Chott (voir
Toutankhamon Magazine n°36) et Edfou, des dizaines de sites furent
répertoriés, totalisant des milliers de pétroglyphes.
Le site possède des dizaines de pétroglyphes de diverses époques, les plus anciens datent du 7e-6e millénaire, le plus récent de l’époque byzantine-arabe.
L’appellation de chasseurs de poissons vient de représentations rares
dans la vallée du Nil et unique dans l’art égyptien ancien. Sur plusieurs sites d’El-Hosh, comme à Gebelet Jussef et Abu Tanqurah Bahari, on remarque des gravures pouvant ressembler à des champignons ou plutôt des tracés curvilinéaires. Dès les années 1930, Winkler, qui fit quelques publications, y vit des nasses à poissons.
En Égypte, ce type d’appareil halieutique n’est pas représenté.
Il faudrait donc voir dans ces étranges tracés des enclos
labyrinthiques pour capturer des poissons. Ils étaient implémentés dans
le cours du Nil ou des canaux. Ils comportaient une étroite entrée par
laquelle le poisson pouvait passer et se perdre ensuite dans les espaces
clos. Un « mur guide » pouvait être parfois utilisé. Ils étaient en
grande partie (ou en totalité ?) réalisés en pierre, par empilement.
Mais le bois pouvait être utilisé.
Malheureusement, les fouilles n’ont pas révélé le moindre indice sur cette population de pêcheurs.
Était-elle sédentaire ou nomade ? Nos connaissances tendent à y voir
une occupation ponctuelle des lieux pour y effectuer la pêche. Les
images gravées pourraient être liées à une croyance ou des rites pour
demander une bonne pêche. Concernant la datation, nous sommes là vers
5000-6000 ans av. J.-C. " (mais nous avons vu que de meilleures datations peuvent aussi mener à - 15.000 ans minimum !).
" Une chronologie difficile à cerner
Comme nous l’a précisé Dirk Huyges, la datation de l’art rupestre demeure encore expérimentale.
Une des méthodes fut d’analyser la patine naturelle dans les sillons
gravés (ainsi que le vernis naturel recouvrant les gravures). Bien
qu’approximative, elle fournit tout de même une date minimale.
D’autres techniques sont mises en œuvre telles que l’analyse
radiocarbone des restes organiques présents dans cette même patine et le
vernis. Il y a aussi une analyse des traces d’uranium (basée sur la
dégradation des isotopes d’uranium qui se réalise dans le temps). À
l’heure actuelle (comme nous l’a confirmé M. Huyge), les résultats
préliminaires existent pour El-Hosh mais pas encore pour Qurta. Cela
prendra encore quelques mois avant de pouvoir affiner les résultats.
Dans la datation de l’art rupestre, il faut donc utiliser différentes
méthodes. Il y a notamment l’étude comparative du style artistique entre
les sites ou du style en lui-même (ainsi que le contexte
archéologique). Elle fournit des éléments capitaux dans la datation.
Desert du Tassili : des gravures montrant des cultures et des canaux préhistoriques ?
Des cultures dans toute l’Égypte
Si
aujourd’hui, El-Hosh et Qurta apparaissent comme des « sites vedettes
», il existe de nombreux sites d’art rupestre dans les déserts de l’Est,
de l’Ouest et aux bords de la vallée du Nil. La grotte de Djara est une des plus connues. Située entre Assiout et l’oasis de Farafra, elle possède de nombreuses représentations d’autruches, d’antilopes, et diverses autres espèces. Si
les objets découverts dans l’environnement de la grotte remontent vers
6000-8000 av J.-C., aucune étude sérieuse n’a été réalisée sur l’art de
Djara.
L’autre site important se nomme Wadi el-Obeiyid, situé au nord-ouest de Farafra. Cette grotte se répartit en trois salles. Son art se compose de gravures et de peintures. On y trouve notamment plusieurs mains peintes, en plus de représentations d’animaux. Elle remonterait à 6000-5000 av. J.-C. Elle appartient à ce que les spécialistes appellent « sociétés proto-agricoles ». Ces mains sont peu communes dans l’art préhistorique nord-africain. L’autre exemple connu est le site libyen de Wadi Athal Shelter. Faut-il y voir un lien possible entre les deux sites malgré les 2000 km les séparant ?
D’autre part, pour le moment, nous ne connaissons rien d’une connexion
entre cette culture et les populations de l’art rupestre de la vallée du
Nil.
Deux autres lieux recèlent des trésors préhistoriques : le Gilf Kebir et le Gebel Uweinat, aux frontières égypto-soudano-libyennes. Ces vastes ensembles pictographiques possèdent un style plus proche de l’art saharien (dans le style et l’iconographie) que celui de l’Égypte de cette période.
Mais la région thébaine (région autour de Louxor) recèle aussi son art rupestre. Appelée le désert thébain, située à l’ouest de Louxor, la région est ratissée depuis plus de 15 ans par les Darnell avec le projet « Theban Desert Road Survey ». Parmi les nombreux sites référencés, le plus connu est le Gebel Tjauti, découvert en 1995, avec
un grand graffiti d’un combat militaire remontant, peut-être, au règne
du roi Scorpion (dynastie 0, vers 3250-3300 av. J.-C.).
Interprétation et compréhension de l’art rupestre
Comment
comprendre l’art rupestre égyptien ? Actuellement, il n’existe aucune
réponse. En 2002, Dirk Huyge, dans son article « Cosmologie, idéologie
et pratiques religieuses individuelles dans l’art rupestre de l’Égypte
ancienne », émet plusieurs hypothèses :
-
une symbolique magique, en particulier pour les représentations
animales. Cette hypothèse est cependant aujourd’hui abandonnée ;
-
une interprétation totémique : difficilement tenable à cause de la
diversité de l’iconographie animale et surtout, l’iconographie de ces
époques montre des espèces dont, à l’époque prédynastique, il n’y a pas
de statues divines ;
-
une représentation religieuse : possible mais souvent combattu. Les
traces religieuses à ces hautes époques sont ténues, voire inconnues ;
-
la naissance de l’idéologie : si elle se discerne aux époques
prédynastiques, pour la préhistoire comme à Qurta ou El-hosh, cela est
discutable.
Tout
cela montre l’extrême difficulté de comprendre les motivations
profondes de ce peuple que l’on ne peut qualifier d’égyptien. Il
faudrait peut-être utiliser un terme plus neutre : peuple(s)
nilotique(s). Les informations lacunaires, voire inexistantes, sur ces
populations préhistoriques nous privent de nombreuses données sociales
et historiques.
Vers l’Égypte prédynastique
Nous savons aujourd’hui que le désert de l’Ouest connaissait une période humide jusqu’à 6000-5000 av. J.-C. Un changement climatique (sécheresse) s’opéra alors poussant sans doute une partie de la population à migrer vers les bords du Nil.
Il se pourrait qu’elle maîtrisa l’agriculture et l’irrigation (ou elle
la connaissait déjà mais les champs cultivés sont devenus des désert s
!). Coïncidence ou non,
c’est à la cette même période que l’on retrouve, au bord du Nil, les
premières traces agricoles, principalement dans le Fayoum (dit Fayoum A)
puis dans le reste de l’Égypte. Peu après, c’est l’élevage (la
domestication animale) qui va avoir lieu. Cependant, comme le
note justement Béatrix Midant-Reynes, nous ne savons si cette
domestication est d’origine égyptienne ou étrangère ; la même
interrogation existe pour la culture céréalière. "
Yves Herbo Traductions, Sciences, F , Histoires, 07-07-2014
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